Depuis un an déjà, nous découvrons la surface de Cérès à travers les yeux de la sonde Dawn. Parmi ses traits particuliers, les taches blanches figurent parmi les plus mystérieux. Depuis la Terre, une équipe qui a traqué le phénomène au cours de deux nuits d’observation, s’est aperçue que des panaches se forment et disparaissent rapidement dans les régions où elles figurent, lorsqu’elles sont exposées au Soleil.
À sa découverte en 1801, (1) Cérès fut considérée dans un premier temps comme une planète. Puis avec la détection d’une multitude d’astéroïdes dans la même région du Système solaire, entre Mars et Jupiter, l’astre qui porte le nom de la divinité romaine de l’agriculture fut regardé comme le plus grand et massif de tous (940 km de diamètre). En 2006, changement de statut : désormais, on parle d’une planète naine, au même titre que Pluton, Éris, Sedna…
Il se passe beaucoup de choses sur Cérès et tout n’est pas encore bien compris. Il y a une douzaine d’années, les astronomes remarquèrent la présence de taches claires se déplaçant avec la rotation de l’astre. Presque 10 ans plus tard, des panaches de vapeur d’eau furent mis en évidence par le télescope spatial Herschel. Enfin depuis l’insertion en orbite de la sonde Dawn en 2015, chercheurs et grand public qui ont pu deviser le vrai visage du sphéroïde, ont découvert qu’en réalité, il y a des taches un peu partout.
Le groupe le plus célèbre, car de loin le plus remarquable est celui qui s’étale à l’intérieur du cratère baptisé Occator. Il s’agit sans doute du même attroupement que l’on devine sur les images floues d’Hubble en 2004. En attendant de connaître précisément leurs compositions, la Nasa s’est amusée voici un an à demander l’avis aux internautes en votant pour la proposition qui leur semble la plus probable. C’est toujours « autre » (other) qui l’emporte avec 38 % des suffrages. La glace d’eau vient en second avec 28 %. L’équipe scientifique de la mission, quant à elle, hésite entre cette possibilité et celle de dépôts de sulfate de magnésium hydratés, avec une préférence toutefois pour cette dernière, étant donnée la réflectivité des matériaux. Leur origine demeure pour l’instant un mystère.
Une des vues les plus détaillées du cratère Occator (90 km de diamètre), prises par la sonde Dawn, où figure l’ensemble de taches brillantes le plus remarquable de Cérès. Des panaches ont été observés lorsque la région est exposée au Soleil — Crédit : NASA, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA
Cérès, un astre très actif dans la ceinture d’astéroïdes
Au cours de l’été 2015, Paolo Molaro, chercheur à l’Istituto Nazionale di Astrofisica, Inaf, de l’observatoire astronomique de Trieste, et son équipe, consacrèrent deux nuits d’observations avec le télescope de 3,6 mètres de l’observatoire de La Silla, au Chili, au foyer duquel est installé le fameux spectrographe HARPS, pour se lancer dans une enquête sur ces traces : « Lorsque la sonde spatiale Dawn a révélé l’existence de mystérieux points brillants à la surface de Cérès, j’ai immédiatement songé à la possibilité de les étudier depuis la Terre. » L’auteur principal de cette étude publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society explique qu’ « au fil de la rotation de Cérès, les taches s’approchent de la Terre puis s’éloignent de nouveau, ce qui se traduit par des modifications dans le spectre de lumière solaire réfléchie arrivant sur Terre. »
Puisque les calculs avaient indiqué au préalable que les déplacements des taches pourraient être mesurables sur le spectre du plus gros objet de la ceinture d’astéroïdes, par effet Doppler, l’équipe entreprit donc de les scruter au cours des rotations de près de 9 heures de Cérès. Et là, surprise ! Au niveau du cratère Occator, où se trouvent les taches les plus visibles de toutes, des panaches ont été vus se développer le jour, sur la face éclairée par le Soleil (Cérès est 2,7 fois plus éloigné de notre étoile que la Terre). La lumière qu’ils réfléchissent décroit ensuite assez vite, ce qui suggère une évaporation rapide de ces matériaux volatiles. Des changements ont été observés aussi d’une nuit à l’autre, de part et d’autre du globe.
Le comportement de Cérès est encore mal compris. Il est le seul corps de cette région à manifester autant d’activité et, contrairement à ses homologues de petite taille en orbite autour de planètes géantes, on ne peut pas l’expliquer par les forces de marées qu’elles induisent sur leurs sujets. Dans le cas de la planète naine, les chercheurs ignorent pour l’instant ce qui l’anime, ce qui fait battre son cœur.
Dawn poursuit son enquête sur place, dorénavant (depuis décembre 2015) à seulement 385 kilomètres de la surface de l’astre. Sur Terre, l’équipe de la mission nous donne rendez-vous la semaine prochaine, le 22 mars, pour une conférence de presse donnée dans le cadre des 47e Lunar and Planetary Science Conference de l’AAS.