Il y a des petits signes qui ne trompent pas.
La lumière qui filtre à travers les volets, le matin, à l'heure du réveil. Les narcisses qui étalent leurs taches jaunes sur la terre noire, vaillants petits soldats bravant les gelées matinales. Les crocus qui parsèment la pelouse sur laquelle on n'ose plus marcher.
La première fois où on étend le linge dehors, pour qu'il vole au vent et prenne ce parfum d'air frais irremplaçable, inimitable. La première fois où on trébuche sur une touffe d'herbe qui a poussé plus vite et plus haut que ses voisines - et le moteur des tondeuses des voisins zélés, au loin. Le duvet des chatons des noisetiers, le rose poudré des amandiers, celui, plus soutenu, des cerisiers. Le jaune flamboyant du forsythia qu'on a encore oublié de tailler à l'automne et qui prend ses aises, empiète sur l'escalier de pierre recouvert de mousse. On n'attend plus que l'explosion insolente du vert qui habillera enfin à nouveau les squelettes noirs des arbres, dentelles élégantes mais tristes sur fond de ciel cotonneux.
Les couchers de soleil, ciels en feu quand je longe chaque soir la rivière frontière. La couche de glace qui se fait plus fine chaque matin sur le pare-brise, la danse des flocons qui ne nous impressionne plus désormais, on sait bien qu'ils ne resteront pas jusqu'à demain. Les robes un peu plus courtes et les écharpes moins imposantes. La parka qu'on a déjà rangée, même si le vent est si froid qu'on regrette déjà cette impatience. Les jambes qui démangent de courir plus et les lièvres qui traversent notre route après une hésitation - ou est-ce pour laisser le temps aux enfants de les apercevoir? Le vol des grues en sens inverse, et leur cri si particulier qui semble nous saluer. L'impression que bientôt, tout bientôt, tout sera tellement plus facile, illusion douce comme les premiers rayons de soleil qui réchauffent le visage qu'on lui tend.
Bientôt, tout bientôt, il sera à nouveau là, et comme toujours nous y puiserons une nouvelle envie de vivre à pleins poumons.