Comme Netflix ne me proposait « Downton Abbey » que jusqu’à la saison 4 (pleurs et grincements de dents), j’ai dû me tourner vers une autre série pour remplir ce que j’appelle mes « moments de compensation » (en gros, du chouchoutage mental après une phase intense de travail ou de dévouement total à ma fille). J’ai donc changé complètement de registre avec la série américaine « Homeland ».
Nous sommes loin des raffinements de la civilisation britannique dans « Homeland », loin de l’univers un peu ouaté de la famille Crawley et de ses cérémonials en apparence intangibles qui lui offrent un bouclier de protection face aux bouleversements du monde. Carrie Mathison est une agente de la CIA qui revient d’une mission en Irak en 2011 avec une information cruciale : Al Qaida aurait « retourné » un prisonnier de guerre américain, converti à la cause même qu’il combattait. Quelques mois plus tard, on apprend la libération d’un Marine, retenu dans les geôles d’Al Qaida en Irak depuis 2003. Il s’appelle Nicholas Brody et il revient aux Etats-Unis en héros de la nation. Mais Carrie est persuadée, contre l’avis de la direction de la CIA, qu’il est à la solde de l’organisation terroriste dirigée par un certain Abu Nazir, et qu’il prépare un attentat de grande envergure sur le sol américain.
Voilà, on pourra encore dire que c’est la série américaine typique qui privilégie l’action et divise le monde entre les bons et les méchants, ceux-ci empêchant ceux-là de faire sauter le monde libre de justesse. A cela j’objecterais tout d’abord que les Américains sont quand même doués pour nous offrir de la bonne série d’action, bien écrite, haletante, prenant à bras le corps les grands enjeux de la vie nationale. A quand une série, en France, qui portraiturait avec brio la menace diffuse du terrorisme pesant sur nos vies depuis janvier et novembre 2015 ? Tout en restant un spectacle de divertissement (sans quoi la série perdrait sa fonction de « chouchoutage mental » n’est-ce pas).
Mais ce qui fait l’attrait de la série, selon moi, ce sont ses personnages extrêmement bien travaillés et remarquablement interprétés pour certains. Il y a l’agente secrète dévouée obsessionnellement à sa « mission » au point de s’y noyer psychologiquement – L’ancien prisonnier dont le regard impénétrable nous cache les véritables intentions, et qui pourtant se révèle vulnérable, de retour dans sa vie « normale » de citoyen et de père de famille modèle – Saul Berenson, le mentor de Carrie à la CIA, revenu de tout, que sa femme quitte – La fille de Brody, gamine butée et intuitive, géniale vers la fin de la saison 1 – et je tiens à mentionner Virgil, ce personnage secondaire fort utile à Carrie quand elle dévie du modus operandi officiel, le « punching ball » de ses sautes d’humeur, et dont je raffole du regard de cocker battu. Il n’y a guère que Jessica, la femme de Brody, que j’ai trouvé assez mijaurée, sans parler de David Estes, le patron de la CIA, aussi crédible qu’un placard à balais, qui ne semble avoir qu’un principe directeur dans sa vie : envoyer Carrie au tapis.
Mais là où la série atteint le niveau des grandes, c’est quand elle touche à la nature humaine. Comme le dit Saul à Carrie : « il faut chercher l’homme derrière le terroriste ». Et c’est ce que montre la série : l’imbrication des enjeux intimes avec les engagements publics (voire extrémistes), la racine intime des grands problèmes géopolitiques. Ce que j’apprécie aussi c’est que les relations personnelles des personnages (entre mari et femme, entre l’agent et sa cible, entre collègues, entre père et enfants) évoluent au fil du récit, ne répètent pas les mêmes motifs archétypaux d’épisode en épisode.
Rien que pour la scène hallucinante dans le bunker lors du dernier épisode de la saison, avec un Brody oscillant entre la vie et la mort (je n’en dis pas plus pour ne pas « spoiler », mais j’aurais aimé m’étendre sur le passage à l’acte conscient), cette série vaut le coup. Et c’est en partie dû à la performance des deux interprètes principaux : Claire Danes en Carrie échevelée, souvent survoltée, hypersensible, et Damian Lewis pour le sergent Brody, dont le fait qu’il ait interprété Hamlet au théâtre n’est pas pour rien dans sa maîtrise de la dualité mortelle du personnage.
Bref, un bon spectacle que cette saison 1, où l’on n’en finit plus de discuter de la duplicité des personnages, et où le plus fort n’est pas toujours celui qui a le plus de moyens !