James Dean et Dorothy Parker

Par Marieaimee19
Vivre vite
Philippe Besson 
Philippe Besson plonge aux origines du mythe James Dean à travers un roman choral où se succèdent la voix des proches de l'acteur (parents, amis, conquêtes, acteurs, agents, réalisateurs) pour nous livrer un portrait vivant et minutieux de l'étoile filante d'Hollywood : un homme au profil singulier qui ne s'est jamais remis de la perte de sa mère et qui aimait les femmes et les hommes ...
James Dean, né le 8 février 1931, est un enfant turbulent à la santé fragile. Très tôt, il porte des lunettes à cause d'une myopie sévère. Ses parents, Winton et Mildred, déménagent souvent avant de s'installer à Santa Monica en Californie (son père obtient un travail au Centre des anciens combattants de Los Angeles). A la maison, James improvise des pièces de théâtre avec sa mère, une femme gaie et fantasque, qui l'inscrit à un cours de claquettes, le pousse vers les matières artistiques (piano, violon, danse), l'encourage à une meilleure connaissance de lui-même. Il a neuf ans lorsqu'elle est emportée d'un cancer de l'utérus. Sa disparition le terrasse. Il accompagnera même son cercueil dans un train : un éprouvant trajet de 2000 kilomètres pour l'enterrer dans sa terre natale d'Indiana. "Abandonné" par son père (c'est ainsi qu'il le ressent), il est élevé par son oncle et sa tante, un couple de Quacker, qui possèdent une ferme à Fairmont. James se sent bien parmi les bêtes, conduit le tracteur, monte aux arbres, fait des acrobaties (il se casse d'ailleurs toutes les dents de devant lors d'une chute de trapèze), récite des poèmes avec son accent du Midwest et imite les prêches du pasteur de l'église. Dès l'adolescence, il cherche des guides spirituels, plutôt féminins. Il y a d'abord Adeline Brookshire, son premier professeur d'art dramatique, qui lui redonne confiance et tente de canaliser sa résistance à toute forme d'autorité (il a un caractère difficile, s'emporte rapidement, ne supporte pas la moindre critique). Elle est surtout frappée par la fragilité assumée du jeune homme, son culot et la gravité de son regard où se trouve "quelque chose de lumineux et de violent". Il y a ensuite Elizabeth McPherson, son professeur de lycée, dans les bras de laquelle, à seize ans, il se laisse aller. Mais les filles ne sont pas sa priorité (elles sont d'ailleurs très déçues par cet amant pressé et maladroit). En effet, il préfère vivre en toute discrétion quelques aventures au masculin avec le comédien Bill Bast, son colocataire à Los Angeles, et le publicitaire Rogers Brackett. A dix-huit ans, il se déclare homosexuel pour échapper au service militaire et part vivre à New York où il enchaine les petits boulots. Gravement insomniaque, il erre dans les bars, fume cigarette sur cigarette, boit beaucoup de whisky et se bagarre facilement. Il partage la vie de sa confidente Elizabeth Sheridan (Dizzy), comédienne et danseuse dans un bouge de Harlem. En 1952, il est reçu à l'Actors Studio. C'est le début de sa véritable carrière au théâtre (le dramaturge Tennessee Williams est épaté par la puissance et la justesse de son jeu dans See The Jaguar à Philadelphie) et au cinéma où il domine parfaitement son trac. La rencontre avec le réalisateur Elia Kazan est décisive. Celui-ci lui offre le rôle de Cal Trask dans A l'est d'Eden, l'adaptation du roman de John Steinbeck (la légende d'Abel et Cain version contemporaine) : "Il avait tout du petit morveux, de la tête à claques et, en même temps, je devinais chez lui une fragilité, une blessure, des névroses peut-être, des failles en tout cas qui m'intéressaient. Il serait parfait en jeune homme tourmenté". Avec sa première avance sur cachet, James s'empresse d'acheter une voiture, une moto et un cheval (il a toujours été grisé par la vitesse). Il entame une aventure passionnée avec l'actrice italienne Pier Angeli (en réalité Anna Maria) mais celle-ci lui résiste et rompt brutalement (sa mère est farouchement hostile à leur relation). Il rencontre ensuite Marlon Brando, Natalie Wood (sa partenaire dans La Fureur de vivre : l'histoire de trois adolescents inadaptés) et Elizabeth Taylor (sa partenaire dans Géant). En septembre 1955, il percute la voiture de Donald Turnupseed sur la route de Salinas à bord de sa Porsche flambant neuve (modèle Spyder 550). Il meurt à vingt-quatre ans.

James Dean, New York, 1955 (photo Dennis Stock)


James Dean, New York, 1955 (photo Dennis Stock)


Le photographe Dennis Stock saisit à merveille la dégaine de l'acteur : regard et sourire à la provocation innocente, poches sous les yeux, cheveux en broussaille, épaules rentrées, cigarette qui tombe au coin de la bouche, mains enfoncées dans les poches. James Dean est, d'après tous ses proches, d'une beauté à couper le souffle alors qu'il ne possède aucun des canons de l'époque : petit gabarit (1,72 mètres), binoclard, mal fichu et un peu vouté. On peut voir toutes les autres photos de Dennis Stock à l'adresse suivante : www.magnumphotos.com/Catalogue/Dennis-Stock/1955/USA-James-DEAN-US-actor-1955-NN146418.html

James Dean, New York, 1955 (photo Dennis Stock)


L'acteur prend des cours de danse chez Katherine Dunham, chorégraphe afro-américaine, pour mieux utiliser son corps sur scène et devant la caméra. Enchanté de brouiller les pistes, il assume le choix de disciplines artistiques méprisées des hommes et persévère malgré les quolibets.

James Dean adore la compagnie des bêtes dans la ferme de son oncle et sa tante
Fairmont, Indiana, 1955 (photo Dennis Stock)


James Dean s'amuse dans un cercueil quelques mois avant sa mort
Salon funéraire à Fairmont, Indiana, 1955 (photo Dennis Stock)


James Dean et Elizabeth Taylor dans le film Géant, 1956


L'acteur est ingérable sur le plateau de Géant. Il cumule retards, improvisations hasardeuses, incartades et disputes avec Rock Hudson. Il confie à Liz Taylor, comme elle l'écrira dans ses mémoires, avoir été abusé par un pasteur durant son adolescence dans l'Indiana. Un homme qui partageait aussi avec lui sa passion pour la corrida et les courses automobiles. Cet épisode a sans doute durablement perturbé le jeune-homme.

**********Excusez moi pour la poussière (théâtre)Jean-Luc Seigle


Le texte de Jean-Luc Seigle est une pièce de théâtre en huit tableaux qui éclairent des épisodes importants de la vie de la romancière américaine Dorothy Parker (actuellement incarnée par Natalia Dontcheva au théâtre Le Lucernaire à Paris jusqu'au 19 mars).
L'action se déroule de 1950 à 1962 à l'Hôtel Volney à New York. La romancière, âgée de cinquante ans, y réside et passe ses journées en peignoir devant sa machine à écrire (elle fournit des critiques littéraires, souvent pour la revue Esquire) : "L'important dans un hôtel c'est justement cette absence d'étanchéité. C'est rassurant de sentir à travers tous les petits bruits qu'on entend, toutes ces petites vies minables tout près, tout le temps ; sinon où croyez-vous que je trouverais des sujets pour écrire mes nouvelles ?". Elle pense à son testament*(1), boit deux bouteilles de whisky par jour et s'adresse à voix haute aux personnes chères à son coeur : son ange gardien Charly (le concierge noir de l'hôtel), sa chienne Misty et son ex-mari Alan, acteur et scénariste à Hollywood, qu'elle s'apprête à épouser une seconde fois (il a douze ans de moins qu'elle mais disparaîtra avant sa femme : sa mort coïncidera par ailleurs avec celle de Marilyn Monroe pour laquelle ils avaient écrit ensemble une comédie). En une centaine de pages, l'auteur réussit à nous livrer, via un monologue au registre familier - donc très vivant - une biographie éclair de Dorothy Rothschild Parker alias "Dottie". On découvre une femme au caractère bien trempé, à la fois rebelle, caustique, alcoolique, dépressive (elle tente de se suicider à deux reprises) et redoutablement seule (elle est incapable de partager le quotidien d'un homme alors qu'elle fut toute sa vie entourée de chiens). Son franc parler (elle parle crûment de sexe) et son humour corrosif (elle hait la bourgeoisie, la famille et la religion) contrastent avec la coquetterie de ses somptueuses tenues, vestiges de la fortune paternelle (robes de haute couture, fourrures et bijoux). Politiquement engagée, elle milite contre l'exploitation des pauvres (notamment les employés de maison et les immigrés confrontés aux désillusions du rêve américain), la ségrégation des noirs (elle lègue l'ensemble de ses droits littéraires au mouvement du pasteur Martin Luther King) ou bien encore la peine de mort. Victime du maccarthysme et inscrite sur la liste noire du cinéma*(2)elle crée un syndicat d'auteurs et se bat pour les droits des scénaristes face aux producteurs. A t'elle un seul regret ? Oui, peut-être celui de ne pas avoir su, en dehors de ses nouvelles, écrire un roman.
Le passage le plus réjouissant du texte de Jean-Luc Seigle - parce qu'il traduit le féminisme radical de Dottie - est celui dans lequel elle rejette le rôle de la femme au foyer : "Les femmes d'intérieur ! Celles-là, je les déteste. Tellement ligotées au bonheur. Non mais il faut voir comment elles font attention à tout ce qui pourrait mettre en péril ce bonheur de rien du tout. Primo, repousser discrètement les maîtresses éventuelles de leur mari avec une naïveté feinte, mais efficace ; deuxio, n'avoir que des amies très laides ; tertio, n'avoir qu'une seule idée en tête toute la journée : le dîner du soir. Ah ! ce diner du soir, pris en famille autour du héros qui rentre du travail comme s'il était allé chasser leur pitance au péril de sa vie !".
***** Notes *****
*(1) : Le titre du livre reprend l'épitaphe que Dorothy Parker souhaitait faire graver sur son urne funéraire. Après son décès, celle-ci fut oubliée, pendant vingt-deux ans, sur une étagère de la grande bibliothèque de l'Association nationale pour l'avancement des gens de couleur à Baltimore, à l'endroit où aurait dû être rangé son roman. En 1988, on a enfoui ses cendres dans le parc de cette association.
*(2) : La liste noire est une liste d'artistes à qui les studios hollywoodiens refusaient tout emploi, parce qu'ils les soupçonnaient de sympathie avec le parti communiste américain (1947 à 1960).
***** James Dean et Dorothy Parker, quelque chose en commun ? *****
Deux auteurs français contemporains (Philippe Besson et Jean-Luc Seigle) s'attachent à aborder de la manière la plus simple qui soit - le lecteur ne croule pas sous les références biographiques - deux légendes américaines dont la rébellion se consume dans l'alcool. James Dean, le jeune fougueux, et Dorothy Parker, l'intellectuelle mûre mais immature, sont tous les deux orphelins (James perd sa mère à neuf ans, Dottie est privée de la sienne à 6 ans), solitaires, avides de gloire à Hollywood et ivres de vitesse. L'un incarne les textes sur grand écran et monte à bord de bolides. L'autre vide les verres aussi rapidement qu'elle tape à la machine pour produire des scénarios dans l'ombre.