[Direct-to-vidéo] Frankenstein, notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Bernard Rose, connu pour avoir initié la saga horrifique Candyman, a vu son seizième long-métrage, sobrement intitulé Frankenstein, sortir directement pour le marché de la vidéo dans l’hexagone, le 8 mars 2016, par l’entremise de Mad Movies. Cette énième réécriture filmique du livre culte de Mary Shelley arrive-t-elle à justifier son existence ? Face à des nanars navrant comme I, Frankenstein ou des succès mitigés comme Docteur Frankenstein, traitant davantage des problèmes éthiques que des aspirations du monstre lui-même, la version du cinéaste britannique recentre le propos sur les états d’âmes philosophiques de la créature. Une idée qui n’est pas pour nous déplaire.

Le Monstre (Xavier Samuel que l’on a vu dans Fury) se réveille dans un laboratoire scientifique au côté d’Elizabeth (Carrie-Anne Moss) et Victor Frankenstein (Danny Huston que l’on a vu dans la saison 4 d’American Horror Story), ses créateurs. Ayant la conscience d’un nouveau-né et un corps d’adulte, il ne comprend pas ce qu’on lui inflige à travers les divers examens parfois violents. Abandonné à son sort comme une expérience ratée, le voilà qui erre dans une ville froide et cruelle jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre d’Eddie (Tony Todd), un vieux blues-man aveugle.

Adam (Xavier Samuel)

À quelques encablures du Jour des morts-vivants de George A. Romero, Frankenstein met en scène des scientifiques imbus d’eux-mêmes, jouant avec les lois de la nature, d’aucuns diraient les lois divines, nous vous laisserons juges, avec une désinvolture flagrante que l’on pourrait quasiment qualifier de criminelle. C’est que l’éthique déserte parfois les laboratoires de certains groupes pharmaceutiques ou agroalimentaires. Elizabeth et Victor Frankenstein l’ont également remisé au placard. Frankenstein écarte les pistes paranormales, se gardant bien d’expliquer ou de montrer le processus qui a permit d’insuffler la vie pour permettre au scénario de se concentrer, non pas sur les origines du drame, mais sur ces conséquences. Au final, peu importe effectivement de quelles manière l’on pourrait créer la vie artificiellement, la vraie question étant de définir si l’on a le droit de le faire, si l’on peut s’affranchir de prendre en considération des problèmes aussi épineux que l’âme ou la conscience. Ici, Rose ne se perdra pas dans des délires eschatologique du type de ceux qui nous avaient ulcéré dans Lazarus Effect. Il n’est pas question de courroux divins, d’anciens dieux réveillés ou d’autre foutaises fantastiques couvrant le vrai sujet sous un folklore éculé. Il s’agit de la responsabilité du créateur devant sa créature, du père et de la mère envers leur fils. Le Monstre, qui ignore son nom, mais que ses parents ont baptisé Adam, est en manque d’identité. Son problème premier est d’être orphelin sans l’être vraiment. Il sait qu’il n’est pas né de la cuisse de Jupiter, il a même connu le sentiment filial avec Elizabeth. Mais livré à lui-même, exclue du cercle familial, premier lieu de sociabilisation et à la marge de la société, il est presque rendu à l’état sauvage.

Adam (Xavier Samuel)

Frankenstein fait le parallèle avec ses parias que nos sociétés dites civilisés rejettent aux ornières de nos métropoles. Pensés pour rendre invisible les exclus du système capitaliste, les plans d’urbanité moderne prévoient des bancs où l’on ne peut pas dormir, des grilles pour protéger les parvis des églises et tant d’autres inventions macabres et cyniques de quelques ingénieurs politiciens en déficience d’humanité. C’est avec cela que notre héros moderne va devoir se battre pour survivre. Seul Eddie, un noir aveugle, double handicap aux États-Unis, va pouvoir l’accepter tel qui l’est. Ce qui n’est pas fondamentalement évident. Par solidarité, il va tenter de lui apprendre à parler. Cela sonne comme le triste constat que la reproduction sociale rend très difficile l’empathie pour plus faible que nous. Au-delà du constat politique que pose Bernard Rose sur une société fonctionnant sur l’exclusion et la ségrégation de classe, Frankenstein est surtout, à l’image du roman originel, une fable philosophique sur l’essence-même de ce qu’est le fait de vivre. Sa vision de l’œuvre est certainement l’une de celle qui, au cinéma, rend mieux compte du concept de Prométhée moderne. Prométhée, créateur de l’être humain, qui vola le savoir aux dieux pour leur offrir, fut condamnée par Zeus à être mangé par l’Aigle du Caucase et à revivre éternellement ce supplice. Cette recherche éternelle, mais sans espoir, que mène la psyché humaine en réponse à ses angoisses est ce qu’exprime la voix-off servant de conscience à Adam. Ainsi, Adam n’est-il rien d’autre le reflet de nos inquiétudes face à l’inconnu, face à la solitude, face à l’inconnu, face au vide et à ce qui en semble la plus terrible des concrétisations, la mort.

Adam (Xavier Samuel)

N’ayant reçu ni Dieu ni Maître pour lui donner à croire à des solutions magiques, le voilà athée par nature, seul face à l’inéluctable. Frankenstein, de film d’horreur se mue en fable touchante sur les limites de la sensibilité humaine, condamnant sans équivoque l’absurdité d’une nature violente et d’une vie se reproduisant pour elle-même sans autre but que sa perpétuation. Perpétuation inacceptable d’un cercle de souffrance à laquelle Adam trouve une solution radicale qui rappelle les considérations de l’écrivain suédois Stig Dagerman qui se suicida le 4 novembre 1954. Il écrivait, quelque temps avant celui-ci, ces quelques lignes qui pourrait résumer l’idée centrale de Frankenstein :

« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier. »

Adam (Xavier Samuel) et Elizabeth (Carrie-Anne Moss)

Frankenstein, abandonnant le traitement niais et spectaculaire qui a longtemps prévalu à toute adaptation de Mary Shelley, est un beau film où la violence n’est qu’un prétexte subalterne à une réflexion plus profonde sur la nature même de l’existence. Nous ne pouvons que vous conseillez d’y jetez un œil.

Boeringer Rémy

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