Comment découvres-tu le graffiti ?
A. : En 1984, plus sous l’influence de l’émission Hip Hop (et notamment le passage de Futura 2000 dans l’émission) que de l’article du magazine Stern. Je me suis mis à taguer Master A sur quelques murs de Créteil avec un marker à pointe fine Conté ; puis j’ai réalisé mon premier graff sur un mur d’un parking de Créteil à proximité de l’université en compagnie de Cédric, alias Zuena, avec qui je dansais le Smurf. Il était plus question d’une dynamique liée à l’émission Hip Hop et aux quelques reportages qui avaient été diffusés à l’époque. En gros, c’était Danse, Rap (ou plutôt l’Electro qui marchait fort) et Graff. L’époque était aussi très punk et les graffiti punks captaient aussi mon attention pour le coté destroy.
Et ensuite que fais-tu ?
A. : Au départ seul puis j’ai rallié à moi quelques potes qui étaient dans la même école que moi à Cachan (c’était un internat privé pour enfants difficiles) avec qui j’ai d’ailleurs par la suite formé le groupe BAC (Bugging Out Artist Crew), qui, dans sa première forme ce constituait de : Swike (devenu par la suite Ike), Kurtis (devenu par la suite KRT), Sean 2 (devenu par la suite Alp).
Quels sont les autres writers que tu fréquentais à cette époque ?
A. : Courant 85/86, nous avons fait une alliance avec Fat (Salim), qui nous a notamment introduit au terrain vague de Stalingrad ainsi qu’au Trocadéro, puis nous avons été rejoints plus tard par Malaka, Sly, Koe, Kedy, Marvin et Dark. Nous étions très proches de Scott (le frère de Joey) mais aussi d’autres groupes comme les IZB première version (Crazy JM, Quine, Slade, Angelo) les TRP (San, Banga, Kay, Zone, Meero, etc..) la Force Alpha (Spirit, Asphalt) les Criminal Posse de Gentilly, les ODC qui sévissaient sur la ligne Balard-Créteil et les artistes urbains (Posh et Scipion), puis les CBA (Xenon, Asko…). Le groupe s’est par la suite mué en TCK, qui comptait en son sein James (des TCG) et Hady (des NTM). A l’époque des TCK nous étions proches de Tony Queensbridge, Aro, certains artistes américains comme Sharp, Meo, Jon, A One, ainsi que du groupe BBC (Ash, Skki, Jay), et Basalt (Shuck, Banga, Eros, Pseudo, Subsay) mais aussi de certains UK (Dea, Chaze).
PS : J’en oublie peut être mais ma mémoire n’est pas toujours au TOP.
LE GROUPE BAC 1986
Où as-tu peint ton premier graff ?
A. : Créteil, puis les palissades du Louvre en 84 ou 85, avec une première pièce réalisée avec une seule bombe : Alex, qui avait retenu l’attention d’un writer, ACRO, devenu par la suite PSY. Il y eu par la suite deux autres pièces réalisées en chrome (Writers, Keent, et un personnage style robot). A peu près à la même période, un graff fut réalisé sur l’un des murs extérieurs du terrain vague de Stalingrad : Kurt et Sean.
Quels sont tes autres blazes par ordre d’apparition ?
A. : Mon premier tag = Master A, le second, Alex, puis Sean 2, une parenthèse PE 203, et enfin ALP au retour d’un premier voyage à New York en 1988.
Revenons à ton parcours… peux-tu nous en dire plus ?
A. : C’est à partir de l’internat où nous étions à l’école, que les choses sérieuses ont commencé, en 85 donc. Le Hip Hop était passé de mode suite à la surexploitation (publicitaire ou autre) dont il avait fait l’objet. L’effet de mode, surtout pour la danse, était passé, et plus personne ne se revendiquait de cette culture, mis à part quelques attardés qui vivaient leur délire un peu en autarcie (comme moi), et certains branchés qui étaient ouverts sur les États-Unis. C’est dans ce contexte, que nous avons commencé à redoubler d’efforts pour ce faire entendre, un peu à la manière des derniers Mohicans, histoire de dire que nous existions et que, contrairement à ce que pouvait penser la majorité des gens, le Hip Hop n’était pas mort. Le graffiti était pour nous le support idéal. A l’inverse de la danse, il avait un côté sulfureux car il remettait directement en cause les fondements de la société pour son côté « totalement libertaire » et son aspect « vandalisme, destruction du bien d’autrui ». Et puis surtout, il était visible, ce qui renforçait notre désir d’être vu en choquant par la même occasion.
Peux-tu nous en dire plus ?
A. : Pour nous, l’esthétique et l’aspect artistique comptait, mais c’était l’aspect destructeur, brut de décoffrage et grand défouloir qui était notre principale motivation. En dehors de cela, il y avait aussi l’aspect « camaraderie » entre adolescents et « apprentissage de la vie d’adulte». Étant donné qu’il n’y avait ni fanzines, ni magazines, ni Facebook, ni documentation, notre quête du graffiti nous a très vite poussé à découvrir des lieux où il y en avait et où nous étions susceptibles de rencontrer d’autres graffeurs. Dans l’ordre : Les palissades du Louvre (où j’ai effectué un graff « Alex » avec une bombe, puis un « Writers » en chrome) le terrain vague de Porte de la Chapelle, le terrain vague de Stalingrad « où j’ai effectué un graff à l’extérieur SEAN et KURT, mais aussi à l’intérieur « BAC », et pour finir le mur de quai de Javel, (un de nos fiefs) à quelque pas de Canal + (qui a notamment inspiré un certain Nasty).
Mais encore…
A. : Vu que notre école était à Cachan (école dans laquelle nous avons d’ailleurs fait une fresque autorisée) nous empruntions la ligne B du RER assez régulièrement. Nous y posions la plupart de nos tags à l’intérieur des trains, surtout aux extrémités (à l’époque, il y avait aussi Bam, mais les tagueurs n’étaient pas nombreux). Puis un soir, en 1986, nous avons tapé le toit de la gare RER de Cachan/Bagneux avec Kister (le maître à penser de Popay). Par la suite, lors d’une expédition nocturne nous avons aussi tapé les surfaces extérieures (en tags et throw-ups) de ce qu’il me semble être les premiers trains RER de la ligne B, en compagnie de Venus et Kister. C’était en 1986, il me semble. Deux RER étaient parqués juste après la station Cité Universitaire, que nous avons d’ailleurs ravagé de fond en comble. L’esprit était plus aux tags à l’aspect destructeur qu’aux graffiti esthétiques.
Qui as-tu rencontré durant ces années ?
A. : La majorité des anciens du mouvement. La liste est longue et vu que ma mémoire me joue parfois des tours, il ne faut pas m’en vouloir « les writers », si j’ai oublié quelques noms : Jay, Ash, Skki, Fat (Case), Nikki, Armen, Muck, Ecrof, Kader, Equinox, Majesty, Slaze, Solo, Sheek, Rital, Kaze, Doze (TCG), Scipion, Acro 84 (Psychose), Rom, Lokiss, Crazy JM, Quine, Slade, Koe, Venus, Hady, Tara, Doc, Swike, Kurtis, Nest (d’Espagne), Vintz, Malaka, Sign, Senz, Reen TCG, Torpé, Dozer, Abdel, Shen, Kenzy, Dee Nasty, Spirit, Blitz, Asphalt, San, Kay, Skeed (Osé), Zone (RIP), Meero, Banga, Kam, Dark, Posh, Veak, Atom, Xenon, Asko, Star, Squat, Sly, Swike, James, Moze alias Steph, Meo, Ragtime, Marvin, Jon One, Iron, Shooz, Does, Mast, Phe, Roscoe, Echo, Darko, Dude, James TCG, Dehy, Yan, Shea, Strax, 20enty, Atom, Stress, Bok, Aro, Creez, Shuck, Bam, Rom, Spank, Yoe, Baul, Joey Starr, Kedy, Soesm, Steph, Fist, Mode 2, Darko, Seep, Scott, Tee J, Shoe, Bando, Boxer, et Colt (pas croisé physiquement), A One, Sharp, Dark, Kister (qui au passage était le mentor de Popay), Quine, Koe, Sly, Swike, Doc, Iron et Shooz. Ces writers sont, à mon avis, ceux de la première génération, puis vient, ce que je considère être la deuxième, largement documenté dans ton livre : Dea, Dama, Stem (Chaze), Shema, Nasty, Oeno (Mush) Colorz, Rest, Vizion, André, Rost, Fal, Procey, Kirs, Subsay, Pseudo, Axone, Mist, Noe 2, Cap, Numéro 6, Degré, Hondo, Pro, Acide, Rez, Mear, Dystur, Degré, RCF, Poch, Shun, Tony 93, Yko, Popay, Mambo, Sib, Degré, Omega, Mist, etc…
Quel est selon toi le premier (ou les premiers graffeurs et tagueurs) à Paris et en banlieue ?
A. : Difficile de dire qui fut le premier, car à l’arrivée du Hip Hop en France (un peu avant l’émission Hip Hop de Sidney donc), beaucoup de danseurs se sont mis à taguer ou graffer de manière informelle. Je me souviens notamment que le tout premier graff que j’ai vu était une reproduction de deux personnages (à l’origine réaliser par Doze) d’une pochette de disque des Rock Steady Crew sur un mur de la fac de Créteil. Cela remonte à 1983/84. Je suis sûr que dans toutes les banlieues de France il y avait au moins deux trois tags informels, qui étaient principalement le fait de danseurs Hip Hop. Après si on veut parler de ceux qui ont commencé à répandre leurs noms partout à la manière des New Yorkais, et bien il y avait dans un premier temps, principalement, voir presque exclusivement : Bando, Spirit, Asphalt, Scipion et Blitz.
ALP à NY HARLEM, 1999
Quels étaient les endroits où l’on peignait au début ?
A. : Beaubourg, Palissades du Louvre, terrain vague de Stalingrad et de Porte de la Chapelle, Porte de la Villette et un terrain à Odéon. Sans oublier quelques stations, palissades et murs du métro ainsi que du RER.
Peux-tu nous présenter ton crew de l’époque ?
A. : Les Bac ont été créés en 1985/1986. Bac, pour Bugging Out Artist Crew (les artistes barrés). A l’origine les premiers membres venaient d’une école pour enfants difficiles qui était située à Cachan. Il y avait dans le crew : Swike (Ike) Sean 2 (Alp), Kurtis (Krt). Nous avons été rejoints peu de temps après la création par Fat (qui nous a introduit au terrain vague de Stalingrad) Malaka, Marvin (RIP), Dark, Koe, Sly, puis Kedy et JANIK (devenu par la suite JOME) et qui sévissaient principalement à Bagneux. C’était même le king de Bagneux : cité de la Pierre plate. Puis par la suite plusieurs alliances ont été passées avec les groupes IZB (une association temporaire initiée par Crazy JM) les Criminal Posse (Gentilly et banlieue sud) et les ODC (Maison Alfort, Créteil).
Photographies : Alp