On n'a pas attendu The Voice pour découvrir Guilhem Valayé et son groupe 3 minutes sur mer. Cette rencontre, elle remonte à quelques années déjà. D'abord sur une péniche, puis on les a revus dans quelques salles plus ou moins obscures, mais peu importe l'écrin, l'ivresse que cause les concerts de ses titis parisiens est la même : ça reste un violent électrochoc à s'en décoller le cœur de la poitrine. Quelques années après Des espoirs et des singes, les trois cerveaux brillants et bouillonnants de 3 minutes sur mer, accompagné de Jeff Hallam ont donné naissance à un nouvel EP. Le divin enfant s'appelle Catapulte. Divin. Oui.
Dès l'ouverture, on est comme envahi par un tourbillon de frisson. Je frissonne oui. Quelques secondes, je me demande si c'est le froid qui s'engouffre dans le troquet dès qu'une personne pousse la porte. Non. Je suis loin de la porte. Ca ne peut être que la chanson. Les voix de Guilhem et Louis-Jean Cormier (Québec mon amour) qui s'entremêlent et chantent à l'unisson sur cette guitare électrique, d'abord doucereuse puis qui s'emballe. Le calme avant la tempête. Progressivement, tout s'affole. Les voix montent, les percussions s'ajoutent. Ça se chamboule, ça tangue, ça valse. Tout s'énerve et dieu, que c'est beau.
A LIRE AUSSI >> On était en studio avec 3 minutes sur Mer" Cage " suit la même construction. Cette chanson, c'est un poème mis en musique. On la connaît déjà et on était si frustrés de ne pas la trouver sur le premier album. Il y avait cette session acoustique de Soul Kitchen que l'on s'écoutait en mode repeat à l'infini, en priant secrètement que cette magnifique chanson se retrouve immortalisée dans un album. J'étais désolée pour elle qu'elle se ne retrouve nulle part. Mais ne l'entendre qu'en concert, c'était comme faire parti d'une petite poignée de super privilégiés. Maintenant, elle appartient à tout le monde. Et, c'est bien fait. Très bien car rien n'est superflu. Le danger quand on découvre une chanson en acoustique, quand le coup de foudre est immédiat c'est qu'on peut être déçu une fois qu'on écoute sa version réarrangée. Sauf que 3 minutes sur mer est un groupe d'alchimistes des sons. Il n'y a jamais de superflu, tout est toujours orchestré avec justesse et minimalisme, les instruments sont au service du texte. La mélodie, c'est du miel pour les oreilles. On reprend notre souffle, on respire et puis c'est la surprise sur la piste qui suit : la présence de Zazie.
Ouvrez la parenthèse. Minute guilty pleasure : dans le vaste monde, parfois un peu nauséeux de la variété française, il n'y a qu'une chanteuse que je respecte au plus haut point, c'est Zazie. Si dans une pièce en feu où serait réunit les " ténors " de la chanson française de la génération 90, il fallait choisir une personne à sauver, ce serait elle. J'ai toujours été fascinée par sa plume un peu crue, un peu subversive. Elle est pour moi, l'une des meilleures auteures françaises (et merde, c'est elle qui a écrit " allumez le feu " pour Johnny, c'est dire le talent de cette femme). Parenthèse fermée.
A VOIR AUSSI >> Dans les coulisses d'un enregistrement, avec 3 minutes sur merEn 4min20, les deux artistes suspendent le temps. Sur une ligne de guitare électrique troublée par quelques tonnerres, ils chantent que " ce n'est pas nous qui sommes mauvais, c'est l'endroit d'où l'on vient ". En ces temps maussades qui sentent le souffre, il est bon de trouver une chanson refuge qu'on écoute comme pour se couper du monde. Un Babylone auditif. Te souviens-tu, lorsque tu étais petit ? Te construisais-tu une cabane avec les draps de ton lit pour te fabriquer " un havre de paix ". Cette chanson " Ce n'est pas nous qui sommes mauvais ", c'est ça : le havre de paix qui te console, t'apaise et te rappelle que, en somme, l'Enfer c'est les autres pour reprendre ce bon vieux Sartre.
Arrive déjà le dernier titre. " Pour partir ", l'ovni de ce mini-album. Il détonne ce morceau, car il n'est pas sans rappeler les " work song " d'antan, ces chants qui accompagnaient le travail des esclaves dans les champs, les fermes et les chantiers, puis les fermes-prisons dans l'Amérique du XXème siècle. " En prenant le temps de respirer, soulevant l'enclume qu'est mon torse, laissant cogner, cogner ce cœur qui joue ses dernières notes ". Même les paroles reprend le langage d'un homme à bout qui aurait livré toutes ses forces. Une work song en français avec les percussions lourdes qui impriment le rythme et cette guitare électrique, toujours omniprésente, qui contraste avec sa légèreté. Et après? Après le silence. Trois points de suspension. Catapulte nous laisse comme ça, encore sous le choc de ce dernier tour de piste. Avec la frustration de ne pas avoir davantage mais la promesse que la suite arrive bientôt. Enfin, on espère. Parce qu'ils nous ont lancé loin, avec leur Catapulte, et pour le moment on est au milieu du chemin, en suspension. Mort de faim.