Le 22 février 2016, l’UFC Que Choisir diffusait une liste de 185 produits cosmétiques contenant des substances « préoccupantes pour la santé de leur utilisateur ». Une liste de dentifrices, déodorants, crèmes pour le visage, après-rasages ou soins pour les cheveux accusés de contenir des allergènes et des perturbateurs endocriniens et assortie de la ferme recommandation de ne plus acheter ces produits.
La liste des produits incriminés a immédiatement été relayée sur tous les sites d’information et sur les réseaux sociaux, accompagnée de gros titres parlant de « toxicité » ou de « produits dangereux », suscitant des réactions d’inquiétude et entraînant parfois des appels au boycott.
En répondant aux questions de certains amis qui ne travaillent pas dans ce milieu, j’ai surtout pu constater qu’il y avait une profonde méconnaissance du public sur ce sujet, méconnaissance qui permettait aux rumeurs et aux accusations de prospérer. J’allais me lancer ici dans une longue explication quand je suis arrivé sur un article publié sur LinkedIn par Alexandra Frégonèse, Présidente des Laboratoires Innovi. Ce texte intitulé « La cosmétique et le marketing de la peur, quand les associations de consommateurs s’en mêlent » s’étonne des excès et des amalgames dans les affirmations de l’UFC Que Choisir. Je me permets d’en reproduire ci-dessous des extraits, l’article complet est à lire ici.
« Pourquoi négliger la notion d’exposition aux substances ? N’a-t-on pas les mêmes références ? Faut-il reléguer les conclusions de Paracelse aujourd’hui encore considéré comme le père de la toxicologie ? Faut-il renier le fondement qui énonce : « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison. C’est dans la dose qu’est le poison. » La dose létale 50 (dose à laquelle 50% des individus exposés meurent) de l’eau est à environ 9 litres pour un homme de 80kg. Est-ce à dire que l’eau est toxique ?
Pourquoi faire des amalgames entre molécules irritantes, allergisantes et perturbateurs endocriniens ?
Si les molécules irritantes et les perturbateurs endocriniens concernent l’ensemble de la population, les molécules allergisantes ne concernent que les sujets sensibles. Non seulement nous ne sommes pas tous allergiques, mais si on factorise le fait que la majorité des allergies sont des allergies respiratoires, voire alimentaires pour 4% des adultes et 8% des enfants, ça limite grandement la portée de l’argument. Je comprends qu’il soit plus marquant de dire que 30% de la population est allergique sans faire le distinguo mais les cosmétiques ne sont concernés que par les allergies de contact, beaucoup moins importantes. Aussi, comparer des substances toxiques pour l’ensemble de la population à une réponse anormale et excessive du système immunitaire d’une fraction de la population sur-exprime le niveau de risque.
Pourquoi isoler les éléments de leur contexte général ?
On connaît tous les conséquences de propos sortis de leur contexte. La chimie ne fait pas exception. On prend le soin de dénigrer les molécules de façon isolé en faisant fi des interactions avec les autres éléments de la formule. Autant l’interaction de molécules non irritantes prises isolément peut éventuellement poser problème en synergie, autant une molécule irritante associée à d’autres substances peut ne présenter aucun danger. Les molécules du mucilage, de l’amidon, du sucre s’interposent par exemple entre les molécules irritantes. Les hydrocarbures, les silicones et autres molécules de haut poids moléculaire limitent la biodisponibilité cutanée et rendent certaines molécules irritantes inopérantes.
Alexandra Frégonèse conclut : « En Europe, la sécurité des produits cosmétiques et de leurs ingrédients est surveillée par le SCCS (Scientific Committee for Consumer Safety) qui évalue toutes les nouvelles données scientifiques et émet des recommandations. La cosmétovigilance permet de recenser rapidement d’éventuels effets indésirables liés à l’utilisation des produits cosmétiques soumis aux contrôles permanents des autorités (DGCCRF et ANSM). La cosmétique bénéficie en outre d’un dispositif (REACH) en matière de protection de l’environnement. Alors de grâce, arrêtons de tirer sur l’ambulance. Même si les motivations sont bonnes, il arrive que le résultat attendu soit en marge de celui escompté. Je pense malheureusement que c’est le cas quand on cède au marketing de la peur, aussi efficace soit-il pour vendre du papier. »
Une position que l’on retrouve dans les propos de Céline Couteau, maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie et Laurence Coiffard, professeur en galénique et cosmétologie à l’Université de Nantes, qui ont signé le 25 février une tribune sur le site The Conversation :
« Si nous aimons, toutes deux, épingler les petits et gros travers de l’industrie cosmétique et tirer certaines sonnettes d’alarme à bon escient, il n’est pas raisonnable de créer une psychose vis-à-vis des produits dont nous avons tous le plus grand besoin », indiquent les deux scientifiques qui dénoncent « une information beaucoup trop alarmiste ». Elles répondent point à point à l’enquête de l’UFC-Que Choisir : la méthylisothiazolinone brocardée comme étant allergisant ? « On redécouvre ce que l’on savait déjà, on a été obligé de l’employer de nouveau car il a fallu remplacer les parabens ». Les perturbateurs endocriniens ? Des molécules qui sont « des millions de fois moins oestrogéniques que certains éléments que nous synthétisons nous-mêmes dans notre organisme et qui seront filtrés par notre barrière cutanée ». Le phénoxyéthanol ? « C’est un conservateur antimicrobien peu allergisant et peu irritant pour lequel L’ANSM a émis une recommandation concernant le pourcentage d’emploi. »
Des propos certes moins simplistes et moins médiatisés que ce qu’on lira sur les réseaux sociaux, mais qu’il est indispensable d’entendre avant de montrer du doigt un secteur où la France occupe une position forte et qui est, en Europe, un des plus réglementés qui existe.
Hervé Mathieu