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Les lueurs, de Matthieu Mégevand

Publié le 14 mars 2016 par Francisrichard @francisrichard
Les lueurs, de Matthieu Mégevand

"L'anamnèse (du grec, "évocation du passé") est le récit des antécédents."

Ainsi commence l'épigraphe de Lueurs, le récit que vient de publier Matthieu Mégevand. Elle se poursuit par les sens dérivés, à partir de cette étymologie, que lui donnent la médecine, la psychologie, la liturgie et l'ésotérisme. Le lecteur est prévenu. L'auteur se livre avec ce livre à une anamnèse, qui s'avère vitale.

Cette entreprise d'évocation du passé répond pour lui à une nécessité qu'il ne s'explique pas complètement et pour laquelle il éprouve un sentiment partagé. Il sait seulement qu'il est fasciné par ce qui touche à la mémoire depuis qu'il est "en âge d'avoir conscience que le temps passe et disparaît".

Dix ans plus tôt, Matthieu Mégevand a été atteint par une maladie qui sème l'effroi rien qu'au prononcé de son nom et à l'évocation de ses pinces qui mordent. Elle se dissimule derrière le nom d'une spécialité médicale, inconnue de ceux qui n'y ont pas été confrontés, d'une manière ou d'une autre, l'oncologie.

Matthieu a alors vingt-et-un ans. Il ne se doute pas que ses maux d'estomac, ses maux de ventre, ses nausées, son manque d'appétit et de sommeil, ses sudations nocturnes, son épuisement, sa perte de poids ne sont pas les symptômes d'une hygiène de vie mauvaise, mais d'un mal qui le ronge.

Certes il fume de la marijuana de mauvaise qualité et nombre de cigarettes, boit de l'alcool en excès, mais cela n'explique pas pour autant ce qui lui arrive. Parti avec des copains en vacances sur les routes du midi, il va rentrer plus tôt que prévu, consulter malgré qu'il en ait, et finir alors par apprendre ce qu'il a.

Dix ans plus tard, il fait appel à sa mémoire pour reconstituer les longs mois qu'il a vécus, moins d'une année, pendant lesquels son corps et son esprit ont passé par de terribles affres, avant non pas d'être guéris mais d'obtenir ce qui s'appelle une rémission, cet abandon provisoire d'une guerre où la vie est en jeu.

Pour cette anamnèse, l'auteur n'a recours qu'à sa mémoire et à un cahier noir dans lequel, surtout au début, il a consigné quelques notes un peu minces. Il se refuse à obtenir le concours de ceux qui ont vécu alors dans son entourage pour rétablir les faits. Est-ce d'ailleurs les faits dans leur sécheresse qui l'intéressent?

"Ce qui m'intéresse, c'est ce que la mémoire a conservé et comment, un peu par ma volonté, un peu à mon insu, elle s'est amusée à remettre en ordre - ou en désordre - ces jours sombres; à former ou déformer, à recomposer le tableau, à agencer de manière nouvelle et unique cet ensemble touffu et distant."

La mémoire, qu'il a tout de même très précise la plupart du temps, occulte cependant des faits en principe importants et en retient d'autres qui ne le sont pas. Ce qui lui fait dire, à un moment donné, que "la mémoire est une jument folle que rien ne peut dompter". A laquelle il laisse donc la bride sur le cou.

De temps en temps, c'est à son imagination du pire auquel il a échappé qu'il laisse libre cours. Dans ces cas-là, bien qu'il soit le protagoniste de ces épisodes imaginés et hallucinés, il s'adresse à lui-même en employant des "tu" disparates. Comme pour bien les distinguer des faits bien réels racontés à la première personne.

Les mots ne suffisent pour autant pas à raconter tout ce qui lui est arrivé pendant cette période décisive, à dire vraiment tout ce qu'il a ressenti et tout ce qu'ils ont vécu, lui et les siens, pendant ces mois où l'on ignore de quel côté la balance du sort va pencher. Car, hors des mots, il existe tout un monde qu'il est impossible de jamais reconstituer.

Pendant ce noir récit, souvent très clinique - c'est le cas de dire -, parfois imaginé donc, jamais dépourvu d'intérêt, des lueurs brillent. Certes ces lueurs ne suffisent pas à décider de l'obscur pourquoi des choses - pur hasard ou destinée -, mais elles donnent à l'existence sa touche poétique, qui est bienvenue pour la supporter.    

Francis Richard 

Les lueurs, Matthieu Mégevand, 192 pages, L'Âge d'Homme

Vernissage : vendredi 18 mars 2016 de 17h30 à 19h00 à Payot Rive gauche (rue de la Confédération 7 à Genève)


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