par La Manufacture-Cie Jean-Claude Fall
Théâtre d'O - Montpellier
Mardi 8 mars 2016 - 20h (2h)
et
My secret garden de Falk Richterpar Stéphane Laudier - Cie V-2 Schneider
Théâtre Jean Vilar - Montpellier
Jeudi 10 mars 2016 - 20h (2h)
Richter contre Richter
Un " sacré bordel " ou un " désordre bien ordonné "Hasard de la rencontre, engouement commun pour un auteur majeur, Falk Richter se retrouve face à lui-même, la même semaine, dans deux temples du théâtre Montpelliérain. " Ivresse(s) ", dans une mise en scène de Jean-Claude Fall, au domaine d'O et " My secret garden ", monté par Stephane Laudier, au Théâtre Jean Vilar. Double lecture plus qu'affrontement, les deux spectacles s'interpénètrent plus qu'ils ne se heurtent et Fall et Laudier, quoique différents, se placent bien dans le droit fil de Richter.
" Putain comme tout est triste et solitaire et merdique ! "C'est ce constat, face au public, hurlé par des acteurs assommés, acculés au mur de fond de scène, qui tisse le lien incontournable entre ces deux visions de la rencontre avec Falk Richter.
Ivresse(s)
(avec Roxane Borgna, Denis Boyer, Jean-Marie Deboffe, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Nolwenn Peterschmitt, Alex Selmane et Laurent Rojol)Comme décor, la scène, comme accessoires, des smartphones, comme techniciens de plateau, les acteurs eux-mêmes !
C'est faussement foutraque, c'est dans la logique de ces feuillets A4 jetés dès l'entrée en scène, jonchant la scène, sur lesquels toute l'œuvre va s'exécuter et que l'on piétine à souhait. Libre, spontané et pourtant encadré... et mûrement concerté !
Fall à partir de trois écrits de Richter, Ivresse, Protect me et Play loud, s'empare et nous livre en de multiples approches les thèmes majeurs de Falk Richter. La crise du système, système qui nous dévore et ceci depuis longtemps, et toutes ses conséquences, solitude, absence de communication vraie, aberration, brutalité et violence du capitalisme ultralibéral. " Système qui jouit de la crise (et) vit en chacun de nous dans tous les instants de nos vies, comme un alien que nous porterions en nous et qui nous dévorerait de l'intérieur. " L'amour, les relations familiales, sexuelles, sociales, n'ont " pas de sens " et ne tendent qu'à nous détruire. Autour de nous se tissent ces réseaux " de communications égocentrés, égotiques qui au lieu de nous relier, nous enferment dans une solitude toujours plus grande ". La résistance, la révolution, prennent de nouvelles forme et le refus du monstre dévorant prend la forme d'un définitif rejet de la société, régie par les banques, victime de la religion catholique, abusée par les " nobles " dont la famille royale d'Angleterre devient un des boucs émissaires. Nouvelles expressions de cette lutte, , puisent la source de leurs combats et trouvent leur justification au cœur de l'œuvre de Richter.
Jean-Claude Fall fait bouillonner et palpiter ces textes, il leur donne une couleur forte, à la fois drôle, cruelle, marquée d'autodérision, de colère et de rage. Un " sacré bordel " où par instant, comme dans la séquence finale du " campement ", pointent des échos du précurseur " an 01 ", de Gébé (1973).
" Le spectacle sera libre de toute contrainte et de toute règle. Pas de fiction autre que bribes. Pas de continuité narrative ou discursive. Pas de continuité stylistique autre qu'une exigence extrême d'engagement physique . Un humour de tous les instants. Quelque chose de joyeux et d'iconoclaste. " (Jean-Claude Fall)
Liberté d'expression, fidélité à ses idées, volonté de privilégier le travail d'un collectif... Fall tel qu'en lui-même ! " Sincèrement j'attends avec impatience le jour où tout ça va s'effondrer, et où quelque chose de nouveau apparaîtra et on regardera le passé sans comprendre comment on pouvait vivre ainsi, ça, cette vie-là, d'aujourd'hui, ça n'aura plus de sens pour nous tous, on regardera le passé en pensant : comment on pouvait vivre comme ça, ça n'a pas de sens, pourquoi on agissait ainsi, aucun homme normal n'agirait ainsi .Et on dira tout simplement : ben oui, c'était comme ça à l'époque. Ils faisaient tous ça et ... c'était comme ça à l'époque, c'est tout. " (Falk Richter, Ivresse)
My Secret Garden
( avec Jean-Marc Bourg, Fanny Rudelle, la blonde, et Vanessa Liautey, la brune)
Comme fond de scène 27 projecteurs, descendus des cintres, ogives de métal brossé devant lesquelles, seul, le " héros " raconte. Il raconte son enfance, le souvenir de son enfance et en même temps, auteur de son texte, il essaie de le nommer.
" Mais pour le moment, il n'y a rien d'autre que toutes ces crises et tous ces effondrements dans ma tête et, oui, CRISE serait un bon titre. "
Un titres, des titres...après crise il y aura autofiction, épuisement, coma, mon père, une histoire allemande, une histoire meilleure, résistance passive, énergie révolutionnaire...et même ivresse ! Il restera une intrusion dans son intime, dans ce " secret jardin ".
" Richter prend ici pour thème le personnage de l'auteur-metteur en scène épuisé, de plus en plus insensible à son entourage et borderline, dont la fragile existence, entre vie privée et vie professionnelle, menace de se dissoudre dans un néant spirituel ". Avec en toile de fond " les souvenirs d'enfance de Richter, dressant le portrait d'adieu d'une génération de parents issus de la bourgeoisie (pseudo-)cultivée, prisonnière de ses valeurs, reflétant la stagnation matérielle et spirituelle de l'Allemagne d'après-guerre ".
Alexandra, l'un des personnages lancera même : " Je ne veux même pas m'imaginer un monde sans national-socialisme. "
" De gros conseillers financiers épuisés font du tai-chi au soleil couchant. Cet endroit est un hôpital militaire pense-t-il. Comme celui où mon père a été hospitalisé en 1945 après avoir, avec ses camarades, mis l'Europe à feu et à sang. C'est ici que tous ces spéculateurs financiers et Hedge Fonds managers blessés sont transférés pour retrouver la forme par des méthodes de guérison bouddhistes afin de livrer des guerres économiques qui une nouvelle fois mettent l'Europe à feu et à sang, pense-t-il. CES GUERRES FINANCIÈRES : CE SONT QUAND MÊME AUSSI DES GUERRES. C'est bien un état de guerre que nous avons ici et Nous devons bien faire quelque chose. " (Falk Richter)
TOUT EST SI ATROCEMENT TRISTE ET SOLITAIRE ... Et je ne peux rien y faire.Scène finale, le trio se découvre physiquement, en se touchant, se rapprochant, se tenant par les épaules, au centre d'un cône de lumière. Leur discours devient incantatoire, lancinant, s'emballe, s'entremêle. Rappel de la scène finale d'Ivresse(s), le récit d'une fille rejointe dans son sac de couchage par deux garçons. Relation fusionnelle, toucher et contacts étroits.
Laudier, admirablement servi par Jean-Marc Bourg et ses deux complices, dans un décor dépouillé, un peu compassé, aux détails soigneusement réglés - une mention spéciale pour les éclairages, admirablement orchestrés par Christophe Mazet - , nous offre un spectacle " bien ordonné " où pourtant éclate le " désordre " proposé par Richter.
Fall, Laudier, on ne peut faire de choix, les deux sont excellents et offrent de Richter deux visions presque opposées et pourtant aussi complémentaires que les textes des deux interprétations, si semblables que souvent superposables. Après tout, les diamants ont de multiples facettes !
" Le théâtre du discours de Falk Richter puisse une grande part de son efficacité dans les transformations esthétiques auxquelles le texte théâtral est soumis, lesquelles donnent aussi lieu à une redéfinition des personnages. Pour Richter, le texte " n'est pas un prisonnier que l'on peut tranquillement enfermer au pain sec et à l'eau dans un personnage ou dans une action univoques ", car il s'agit d'un " corps libre " qui doit rencontrer " d'autres corps libres ", lesquels doivent eux-mêmes " demeurer ouverts et en mouvement " et ne peuvent " enclencher la mécanique bien huilée dans leurs charnières habituelles ", sous peine que le texte " ne se nécrose, ne meure et ne soit plus entendu ni perçu par qui que ce soit ". En ce qui concerne le rôle des performeurs, Richter conçoit le texte comme un personnage et veut que " ceux-ci pensent et représentent le texte au lieu de jouer les personnages ". Ceci conduit pratiquement à la disparition du travail sur le personnage, ainsi que Richter l'a déjà indiqué dans ses notes sur le projet Trust. "
L'auteur
Falk Richter
Après des études de mise en scène à l'Université de Hambourg, où il est né en 1969 dans une famille appartenant à la grande bourgeoisie financière, Falk Richter se fait rapidement connaître comme metteur en scène et comme auteur et traducteur. Sa première pièce Tout. En une nuit a été créée en 1996 aux Kammerspielen de Hambourg.
En 2003, Falk Richter lance un projet intitulé Le Système, expérience d'écriture et de mise en scène s'étendant sur plusieurs pièces. Cet ensemble dessine un paysage du monde contemporain, de ses paradoxes et de ses valeurs perdues. Le sous-titre en est " notre manière de vivre ", " notre mode de vie ", allusion directe à Georges Bush et à Gerhard Schröder, selon qui l'intervention en Afghanistan défendait " our way of living ", " unsere Art zu leben". Le système comprend plusieurs pièces ou performances présentées en parallèle, et qui adoptent toutes un point de vue, une réaction, un être-au-monde.
Œuvres :
(En français, chez L'Arche éditeur, traduction Anne Monfort)
A deux heures du matin / Small town boy Electronic city Hôtel Palestine Ivresse / Play Loud My Secret Garden Sous la glace Trust / Nothing hurtsLes metteurs en scène
Jean-Claude Fall
" Après avoir été pendant 8 ans directeur de compagnie, Jean- Claude Fall crée en 1982 le Théâtre de la Bastille. Il le dirigera jusqu'en 1988, consacrant ce lieu à la création et l'émergence théâtrale et chorégraphique. De 1989 à1997, il dirige le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis où, en plus de ses propres travaux et des nombreux spectacles coproduits, il décide d'accueillir des compagnies en résidence : celle de Stanislas Nordey (4 ans), la compagnie de Catherine Anne (2 ans), Antoine Caubet, Les lucioles.
De 1998 à 2009, il dirige le Théâtre des Treize Vents. Il y crée une troupe de comédiens permanents et accueille également des compagnies en résidence : d'abord la compagnie Labyrinthes dirigée par Jean-Marc Bourg, puis la compagnie Tire pas la Nappe et son jeune auteur Marion Aubert, enfin Adesso e Sempre dirigée par Julien Bouffier. En 2010 il crée sa compagnie La Manufacture Compagnie Jean-Claude Fall.
Depuis 1974, date de sa première création, Jean-Claude Fall a mis en scène près de 70 spectacles pour le théâtre et l'opéra. Ses choix de textes favorisent le débat historique et de société, sa démarche artistique s'attache à la responsabilité de la prise de parole publique qu'est la représentation. Au théâtre, en dehors de quelques incursions du côté du répertoire classique (Sénèque et Shakespeare), il privilégie les textes du 20ème et du 21ème siècle. Ses auteurs " de cœur " sont Tchekhov, Samuel Beckett et Bertolt Brecht. Il met en scène, entre autres, des œuvres de Maxime Gorki, Franz Kafka, Tennessee Williams, Heiner Müller, Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil. En 1982, il est le premier à porter à la scène un texte de Jean-Luc Lagarce : Le voyage de Mme Knipper vers la Prusse orientale. Il monte plusieurs pièces de Peter Handke dont Par les villages en 1988. Plus récemment, il met en scène : Emily Mann, Jon Fosse, Felix Mitterer, Emmanuel Darley, Falk Richter. "
Stéphane Laudier
Après une formation à l'Ecole Régionale d'Acteurs de Cannes (1991- 1993) avec Simone Amouyal, Béatrice Houplain, Pascal Rambert, Robert Cantarella, Claude Régy, il collabore au théâtre avec Henri Ronse, Simone Amouyal, Christian Benedetti, René Loyon, Christophe Galland, Julien Bouffier, Jean-Claude Fall. Il met en scène et joue au Nouveau Théâtre de Belgique De mes propres mains de Pascal Rambert. Il participe à la création chorégraphique d'Emmanuelle Vo-Dinh, Croisées, sur un livret de Frédéric-Yves Jeannet. De ce dernier il met en espace Brouillons d'Océan, sous la forme d'une lecture spectacle au Théâtre de La Cité Internationale. Pour le Théâtre des 13 vents, il coréalise avec Fanny Rudelle le spectacle Enfance, adapté du roman de Nathalie Sarraute et est assistant de Julien Bouffier sur sa création Les Vivants et les Morts adapté du roman de Gérard Mordillat. Il est assistant de Jean-Claude Fall sur Richard III et Le Roi Lear de Shakespeare. Il est aussi titulaire du Diplôme d'Etat d'enseignement du théâtre et collaborateur artistique de l'association la Maison Théâtre, école de théâtre à Montpellier.
Liens
Domaine d'O - Ivresse(s) http://www.domaine-do-34.eu/spectacles/tous-les-spectacles/ivresses Théâtre Jean Vilar - My secret garden http://theatrejeanvilar.montpellier.fr/agenda/my-secret-garden Jean-Claude Fall http://www.jeanclaudefall.com/la-manufacture-compagnie-jean-claude-fall/ivresses.htmlVidéos
Ivresse(s) teaser, Jean-Claude Fall