LA TRAVERSÉE DU IENCH*
Ne nous y trompons pas, si le purin familial semble le sujet traversé (avec personnages, tableaux et scènes successives) c’est d’une langue qu’il est ici question.
Dans sa préface, Edith Azam signale « Il y a du Faulkner dans ce livre ! du Benjy dans Bundle… » sauf que Iench (qui ne désigne aucun chien renversé) procède selon un réseau moléculaire où la langue (confrontée à un tournage glauque) tente une articulation nouvelle.
Loin du roman, hors circuit, en pilotage ouvert, parfois pendule arrêtée au cœur d’un désastre, la prose s’alimente à une sorte de langue outre-maternelle. Bienvenue chez Bundle !
« Entendre quelqu’un qui parle tout seul, sans voix » dit quelque part Cadiot dans son dernier livre, c’est ça, c’est exactement ça. Loin de toute comédie sociale de l’excellence en littérature, dans les pires draps d’un roman familial, une voix s’articule et tente un commencement d’existence. Hors littérature molle et modernité ventriloque, Iench occupe un fragile espace entre mémoire enfouie et expérimentation. Ici, en fusée éclairante sur la tentative Mauri, la phrase de l’inusable Deleuze « Il n’y a pas d’art qui ne soit une libération d’une puissance de vie »
Béatrice Mauri, en quelle langue écrivez-vous ?
Celle du bannissement de la forme apprise - affirmer un dialecte - une sédimentation qui tente de tenir l’exil - un culbuto fulgurant de l’instant réel - les figures y tiennent un flux une intention en garage - réparation - dépannage de l’instant comme une voix/voie indestructible qui conduit l’étrangeté vers un carnaval où je suis un chien - une langue vivante au plus près de la monstruosité - faire émerger ce qui fuse de la langue - temps récuré de l’être dans son adversité absolue - pour cela le flux tendu de l’écriture est essentiel - me contraindre dans la structure du récit est vital pour la compréhension de l’objet sonore - un aboiement récurant qui part du vide donné à ma parole - celle que l’autre rend difforme - au lieu de l’écouter comme une symphonie profondément humaine -
Et la ponctuation ? Votre écriture sonne comme une partition (on ne peut pas ne pas évoquer la mémoire texte d’objets sonores redoublant la force de la teinte lexicale) Quel usage faites-vous de la voix?
Je n’aime pas la ponctuation - le point tue - la virgule me semble une fausse excuse - le trait et la fraction peuvent me convenir même si le blanc reste un essentiel entre des espaces sonores comme dans Marasme ou Mortier mes précédentes partitions - dans Iench c’est le flux qui m’importe - en cela la mémoire texte de Guyotat m’intéresse et m’interroge - Iench est une partition liée à une voix intérieure - un grenier accidentel fait de tiroirs de malles - désordre en flux qui revient de mon vide rempli d’instantanés - voix couturière de l’instant - vivante sonore puissante pour ajourer tisser la partition originelle perdue - la partita est ma recherche de la note - mouvement qui guette le drame comme une histoire primordiale - dans Iench le « ouais » est la clef qui donne le ton - la seule ponctue qui lie le récit - la voix serait un corps en phonèmes dyslexiques volontaires -
Un récit avec personnages parcourt le livre. Fiction ou autobiographie masquée ?
Il n’y a pas d’autobiographie - les flux passent de l’incube à la main - l’effet masqué s’il existe tient de la structure en mille feuilles sonores - avec les figures de Bundle Munch Fierce on est dans un univers sensitif d’ondes - de sentiments - ce n’est pas une histoire mais des mouvements fluides et sonores qui s’interpénètrent dans un temps défini - origine où peut résider la blessure de la monstruosité - la crudité sensible de manques persistants -
Et si ce « roman familial » était celui de la langue ? La mère, cette langue maternelle imposée ? Le mythe une mauvaise blague ?
Dés l’âge de 12 ans je lisais J. Jacques Rousseau - Victor Hugo - en secret - là où le temps éveille l’esprit la vie - on me l’interdisait - ma langue vient de l’impossible immobilité de dire - je suis allée vers l’affrontement de la langue maternelle imposée - morbide - sacrificielle - en cela Iench est une blague carnavalesque qui tient - un arrière gout persistant - Victor Hugo à écrit « être à jamais l’informe dans l’horrible » c’est cet informe désirant latent de la langue poussée au pire du silence originel qu’incarne cette figure - ce Bundle - l’horrible sert la résolution d’exister - la langue est ce temps d’oreillette que je cherche pour étirer en arc l’instant perdu sonore - croquis d’absences - photos choisies du présent immédiat - ma réalité est absence/recomposition - le mythe est une mauvaise blague - une clandestinité du désir - je suis de cette langue où l’espace d’écriture tient de la mémoire sonore - de l’oubli goûteux -
Dans le champ poétique actuel où vous situez vous ?
Je ne me situe pas - je vis entourée d’artistes dans mon espace mental - je ne choisis pas - un auteur un peintre un musicien me plait me questionne - c’est un flux visuel - la forme le fond font choc - alors je m’introduis dans l’œuvre jusqu'à la lie avec des cibles d’œil - Le bavard - La chambre des enfants de Louis-René des Forêts - Tandis que j’agonise - Sanctuaire - Le bruit et la fureur de William Faulkner - La bâtarde de Violette Leduc - Les vagues de Virginia Woolf - Nathalie Sarraute - Samuel Beckett - Jacques Dupin - Dostoïevski - Louise Bourgeois - Les lettres de Madame de Sévigné - Balthus - Morton Feldman - John Cage - J. Sébastien Bach - Cindy Sherman - Francis Bacon - Giorgio Morandi - la période bleue de Picasso - Pierre Molinier - les gravures de Goya - Jérôme Bosch…
Si on vous demandait de choisir un fragment de votre livre lequel choisiriez vous ?
« t’es un Probso en définitif dans ma toiture d’ogino mon rendez-vous à ton larfou je le bouffe en bon iench qui dérange les tafs tas de La donzelle juponnée en réglo rembourre les allonges en position avant devant ces léchards en laïus dégueulando leurs chouillettes en moules burnes ils se disent craquos à te tirer leurs plus belles ratiches à te ramouler de jactance irrigué intox invalidé jusqu’à la saint glinglin pis ils se caltent pas les pisseux y’a pas ils se coincent contre leurs saint-frusquin calpettes en impro gominée tarbouifs crados sans tire-jus à t’offrir – ouais »
*Béatrice Mauri, Iench, Les éditions Moires