Le Monde du 5 mars publiait en sa page Débats une tribune intitulée « Cette réforme est une avancée pour les plus fragiles ». Cet article émanait d’un collectif réunissant trente et un professeurs, je suppose tous éminemment versés en économie. J’ai été surpris de remarquer dans une liste aussi prestigieuse le nom de Jean Tirole, professeur à Toulouse School of Economics, Prix Nobel d’économie 2014. J’ai également été troublé par le fait que le professeur Tirole n’ait pas jugé son aura de Prix Nobel comme suffisante pour certifier l’autorité de ses propos et qu’il ait préféré enfouir son nom au sein d’une bande de professeurs soucieux de donner à leurs thèses une apparence d’unanimité. Fort heureusement, des professeurs tout aussi réputés ne se sont pas laissés intimider et ont publié ensuite des thèses opposées.
Je me félicite cependant de ce que des peu fragiles aient eu à cœur de se pencher sur le sort des plus fragiles. Mais ils auraient été mieux inspirés de se conduire en véritables scientifiques plutôt qu’en accordant foi à des racontars. Ils auraient ainsi pu poser les questions suivantes, par exemple pour l’année 2015 :
- Quel est le nombre de licenciements effectués dans l’année ?
- Combien y a-t-il eu de défaillances d’entreprises ?
- Combien de licenciements ont-ils été faits en violation du droit du travail ?
- Combien y a-t-il eu de plaintes auprès de conseils des prud’hommes ?
- Parmi les plaintes jugées dans l’année, combien ont abouti au déboutement du ou des salariés plaignants ?
- Toujours parmi celles-ci, combien ont donné lieu au versement d’indemnités ?
- Quelle est la distribution des rapports constatés entre le nombre des mois d’indemnités versés et le nombre d’années d’ancienneté de chacun des salariés licenciés abusivement ?
Ceci permettrait d’établir si ces indemnisations qualifiées d’excessives sont fréquentes et surtout si elles ont quelque lien avec les défaillances d’entreprises.
Si ces professeurs avaient quelque expérience personnelle de la condition de salarié, ils s’abstiendraient d’écrire : « par crainte d’embaucher en CDD, les entreprises ont massivement recours au CDI, bien au-delà des cas prévus par la loi. » (Les caractères gras sont de ma plume). À quoi bon modifier un code puisque des patrons se révèlent incapables de respecter la loi ? Mais puisque ces nobles intellectuels ont su percer les lois de l’économie, qu’attendent-ils donc pour démontrer l’excellence de leurs théories en se lançant à leur tour dans la création d’entreprise ?