Ashraf Fayad, libre parole d’un poète arabe en prison

Publié le 14 mars 2016 par Les Lettres Françaises

Dans la France de l’ancien régime, un poète pouvait être tué pour avoir offensé Dieu et le Roi. Ce fut le sort de Claude Lepetit, poète de 21 ans, brûlé en Place de Grève, le 1er septembre 1662, pour avoir écrit le Bordel des Muses et des tableaux de Paris jugés injurieux par les autorités religieuses et politiques. Cela se passait sous le règne du jeune Louis XIV. Il en va toujours ainsi dans l’Arabie saoudite d’aujourd’hui, l’allié privilégié des Etats-Unis et le partenaire commercial de premier plan, choyé par le gouvernement de la France.

Ashraf Fayad, né en 1980 à Gaza est un poète et un artiste palestinien. Il vit avec sa famille en Arabie saoudite où il participe à la vie culturelle. Il a même représenté ce pays en 2013 lors de la Biennale de Venise. Mais il est depuis plusieurs années l’objet de persécutions de la part des extrémistes religieux.

En août 2013, il a été arrêté une première fois, sur un simple soupçon de blasphème, mais aussitôt relâché. En janvier 2014, il fut à nouveau arrêté. On l’accusa, sur la foi d’un seul témoignage, d’avoir tenu des propos athées dans un café d’Abha. Dans un premier temps le Tribunal ne retînt pas l’accusation d’apostasie, mais, sous la pression du procureur général, il décida de le condamner à mort le 17 novembre dernier. Une campagne internationale s’engage alors à laquelle participent de nombreux poètes, le World Poetry movement, le Printemps des poètes, la Biennale internationale et la plupart des organisations littéraires qui comptent en France. Une pétition est lancée pour essayer de l’arracher à la mort, pétition qui réunit plus de 300 000 signataires et de nombreux initiatives sont prises, en France, à Paris, Marseille, Strasbourg… Finalement, la Cour d’appel a décidé en ce mois de février de commuer la peine capitale en huit ans de prison et huit cents coups de fouet. (Dans leur remarquable mansuétude, les juges ont précisé que ceux-ci seraient administrés par séries de cinquante…)

L’une des pièces maîtresses de l’accusation est le recueil de poèmes qu’Ashraf Fayad a fait paraître au Liban en 2007, aux éditions Dar Al Farabi, ses juges considérant qu’il s’agissait de « poèmes athées ».

Un choix de ces poèmes est maintenant disponible en français, sous le titre Instructions, à l’intérieur, dans une traduction du poète marocain Abdellatif Laâbi, qui a lui-même connu la prison pendant plus de huit ans, sous Hassan II.

A la lecture de ce recueil, les lecteurs français vont pouvoir découvrir un poète à la voix originale et forte. Ashraf Fayad appartient à la nouvelle génération des poètes palestiniens. Son écriture s’inscrit dans la modernité de la poésie arabe. Il écrit en vers libres, avec des images fortes et des mots d’aujourd’hui. Ses thèmes sont l’exil, le sort des réfugiés, la vie contemporaine dans le monde arabe, la pollution du monde mais aussi les sujets les plus intimes, ceux de la solitude, du besoin d’aimer, de l’angoisse devant la mort, la chute, le vide. On comprend à le lire ce qui a pu provoquer l’ire des fanatiques religieux et des princes de la pétro-monarchie. Plusieurs de ses poèmes disent en effet que le pétrole est le nouveau dieu que beaucoup idolâtrent et qu’il coule dans nos veines.

C’est le cas dans la série intitulée : « Des bienfaits du pétrole sur le sang », où il écrit notamment :

 

Et c’est ainsi qu’a parlé

le seigneur de la tribu :

Celui qui possède du pétrole

et couvre ses besoins

en suçant le sang de ses dérivés

est bien meilleur

que celui qui allume ses yeux

pour faire du cœur

un dieu

Ashraf Fayad est de la grande lignée des poètes arabes insoumis. Il y a dans la poésie arabe deux grands courants, celui initié par Al Mutanabi, le maître du panégyrique, qui chantait les louanges des émirs. Et un autre, celui de l’irrévérence et de l’audace. La figure la plus emblématique en est sans doute Abu Nuwas, qui vivait à la cour d’Haroun al Rachid, au 9ème siècle. Buveur, coureur de jupons, amateur de jeunes garçons, Abu Nuwas est une sorte de Rimbaud arabe, chantre de la joie de vivre et de la liberté. De lui-même, il disait, « c’est vrai que je ne suis pas un bon croyant… mais je ne suis pas non plus un bon mécréant »… Comme le fait remarquer Adonis, si la poésie arabe compte quelques grands mystiques (qui ont parfois payé de leur vie leur goût de l’absolu, tel Halladj, crucifié à Bagdad en 922), on n’y trouve guère de poètes bigots, car, par définition, la poésie véritable est une parole personnelle et libre, indifférente aux dogmes d’où qu’ils viennent.

Si certains pensent que la poésie n’a pas d’importance et pas de pouvoir, l’effet provoqué par les poèmes d’Ashraf Fayad, et le sort qui est le sien, devraient suffire à les convaincre du contraire.

Devant le traitement barbare qui lui est réservé, nous devons continuer à nous mobiliser pour le sauver et le faire libérer.

Francis Combes

Ashraf Fayad, Instructions, de l’intérieur, coédition Le Temps des Cerises / La Biennale Internationale des poètes en Val-de-Marne, poèmes choisis et traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi, 10 euros.