L’armée serbe se reconstitue – Interview de M. Pachitch
(De notre envoyé spécial.)
Corfou, … mars.
Les opérations prochaines qui vont avoir lieu dans les
Balkans seront certainement un des principaux événements militaires de 1916. Du
succès de cette campagne peut dépendre plus qu’on ne croit. Nous n’irons pas
jusqu’à préciser les espérances de ceux qui savent et dirigent, mais elles sont
telles et chacun les verra bientôt si clairement, qu’avant peu les yeux du
monde seront de nouveau fixés sur Salonique.
Dans combien de temps ? Cela dépendant pour une partie
de la nouvelle armée serbe, j’ai demandé à M. Pachitch, président du
Conseil, si ses troupes seront bientôt prêtes à rejoindre l’armée Sarrail ?
M. Pachitch m’a répondu :
— La date où la
réorganisation de l’armée serbe sera un fait accompli n’est pas éloignée. Tout
le monde travaille de toutes ses forces et ce qui est déjà fait, je vous le dis
avec joie, est simplement admirable. On ne peut pas aujourd’hui, dans le
tourbillon des événements, juger à sa juste valeur l’immense effort qui fut accompli
pour évacuer notre armée d’Albanie, et qui s’accomplit encore pour la
réorganiser. Dans l’histoire de la guerre actuelle cet effort prendra une place
considérable. Et cet effort-là n’aura pas été perdu.
— Vous avez alors toute confiance dans la prochaine
campagne des Balkans ?
— Toute
confiance. Quand nos soldats reverront la Macédoine et qu’on leur dira : « Là,
derrière sont vos maisons, vos familles, vos champs ». Ah ! monsieur,
de quel élan et sous n’importe quel feu partiront nos soldats. Pourquoi penser
alors que cet élan sera vain ? Surtout, nous ne serons plus une petite
troupe sans moyens et sans alliés, nous serons une aile de l’armée
franco-anglaise qui de jour en jour devient plus forte.
— Ne serons-nous que Serbes, Français et Anglais,
monsieur le président ? Ne pensez-vous pas que la Grèce, enfin convaincue
pourrait aussi à ce moment se joindre à nous ?
— La guerre
européenne actuelle touche de si près les intérêts grecs que j’ai le ferme
espoir que la Grèce tôt ou tard interviendra.
Ses intérêts tels que
je les conçois ne peuvent lui désigner sa place ailleurs qu’à côté de l’Entente.
Je sais que l’on fait déjà et qu’on fera beaucoup encore pour l’en empêcher,
mais l’instinct grec a toujours été un très sûr guide pour les hommes politiques
de l’Hellade et il ne peut les mener qu’à côté de la Serbie.
« L’ennemi
travaille dans du roc »
— Que pensez-vous, monsieur le président, des efforts
que font les Autrichiens pour se concilier la population serbe ?
— Les
Autrichiens, les Hongrois et les Bulgares font en effet tous leurs efforts pour
se concilier notre peuple. Ils n’y réussiront jamais. Il y a quelque chose d’irréconciliable
entre ces peuples et nous. N’avons-nous pas, dans le temps, essayé de tout pour
être bien avec la monarchie des Habsbourg et même avec la Bulgarie ? Nous
nous sommes toujours butés à des difficultés insurmontables. L’esprit de
liberté et l’indépendance des Serbes étaient toujours un obstacle. L’Autriche-Hongrie
voulait une Serbie économiquement et par là politiquement subjuguée à elle et
la Bulgarie voulait l’hégémonie dans les Balkans. Notre peuple ne l’a pas
oublié. Aussi nos ennemis travaillent dans du roc.
— Une chose encore et qui doit sûrement retenir vos
préoccupations, monsieur le président. Que pensez-vous du mouvement de descente
que les Autrichiens tentent d’effectuer en Albanie ?
— Je pense que
les Alliés doivent trop bien comprendre l’importance qu’aurait une avance des
troupes ennemies en Albanie et la valeur stratégique du front albanais dans les
futures opérations des Balkans pour qu’ils ne prennent pas toutes les mesures
en conséquence.
Albert Londres.
Le Petit Journal, 13 mars 1916
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