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MINIATURES PERSANES : LES SEFEVIDES (XVIe/XVIIIe)

Publié le 11 mars 2016 par Aelezig

Le nouvel essor de la culture persane coïncide avec l'arrivée au pouvoir de la dynastie des Séfévides (1501-1736) qui consolident le royaume. Son fondateur, le chah Ismaïl Ier, descend de Safi al-Din Ardabili (1252-1334), lui-même fondateur d'une confrérie soufie, la confrérie Safavieh, qui petit à petit s'inspire du chiisme, jusqu'à l'adopter, ainsi que le font la plupart des sujets de Perse.

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Ismail mène des expéditions victorieuses : de 1501 à 1508, il combat les Turcomans réunis sous la bannière des Moutons blancs et détruit totalement leurs places fortes. Il bataille aussi en Perse occidentale et dans une partie de l'Anatolie orientale. Il défait le khan chaybanide qu'il déteste, mais il commet une erreur en soutenant en 1512 la rébellion des Têtes rouges (soufis majoritairement turkmènes) contre le sultan turc Bajazet. Le fils et héritier de ce dernier, le prince Sélim, soulève des troupes et des janissaires contre son père qu'il contraint à l'abdication et se retourne contre les Perses. Avec une armée aguerrie et bien équipée de deux cent mille hommes, il s'engage jusqu'en Azerbaïdjan occidental. En août 1514, il écrase l'armée persane à la bataille de Tchaldiran près de Tabriz. Les Turcs pillent Tabriz et envoient à Constantinople, conquise depuis un demi-siècle, un grand nombre d'artistes de Tabriz, ainsi que des architectes et des savants dans une capitale dont il fallait toujours relever les ruines.

Dès lors Ismail ne participe plus directement à la guerre, mais continue à soutenir indirectement les Têtes rouges. Son nom est lié au renouveau de l'art persan et à une prospérité retrouvée. Le style en vogue est dénommé « style turkmène » avec des paysages aux décors fantastiques et un grand luxe de détails. L'un des principaux représentants de ce courant est Soltan Mohammad. Trois manuscrits de l'époque illustrent ce nouveau style raffiné : un exemplaire du Khamseh de Nizami commencé sous les Timourides et tombé dans les mains d'un émir d'Ismail qui fait ajouter quelques illustrations en 1504 et 1505 ; ensuite L'Histoire de Djalal et Djamal de Mohammad Assafi qui, après que la calligraphie du texte eut été achevée à Hérat en 1502-1503, est illustré de trente-cinq miniatures. Composées de 1503 à 1505, elles ne le sont pas du tout dans le style de Behzad, mais dans ce nouveau style foisonnant. Enfin le troisième manuscrit est un exemplaire du Livre des rois (« Shahnameh ») commandé par Ismail et dont seulement quatre miniatures sont connues. Malheureusement trois d'entre elles ont disparu ; la quatrième (Roustam endormi) se trouve au British Museum de Londres. Elle est signée de Soltan Mohammad.

C'est véritablement sous le règne du successeur d'Ismail, Tahmasp Ier, que s'épanouissent de nouveau tous les arts persans, et en premier lieu la miniature. Le chah est soucieux de donner un certain prestige à son règne et il est lui-même féru d'art. Il fait de la calligraphie et du dessin. Il a passé sa première enfance à Hérat, mais avec la mort soudaine de son père a dû s'installer à la cour de Tabriz en tant que nouveau chah, alors qu'il avait à peine dépassé l'âge de dix ans. Beaucoup d'artistes, de poètes, de copistes et de savants quittent Hérat et suivent la cour à Tabriz. C'est ainsi que le style hérati de Behzad et de son école - qui s'attache à l'harmonie de la composition - se mélange, mais de façon heureuse, avec le « style turkmène » de l'école de Tabriz, enclin à l'ornementation et au raffinement des détails. Tahmasp fait preuve d'une grande prodigalité. Il entretient une immense ketâbkhâneh (bibliothèque) et réunit sous son patronage une pléiade de grands maîtres, tels que Soltan Mohammad, Agha Mirek, Mir Saïd Ali, Abd al-Samad, Mu'in Mussavvir, Mirza Ali, et tant d'autres.

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Les premières années du règne de Tahmasp donnent à Behzad la première place dans la direction des affaires artistiques du royaume, Un projet grandiose est mené avec la commande par le roi d'une nouvelle copie du Livre des Rois (15251535). Le recueil comprend 746 folios de grand format, 258 miniatures de pleine page, et un grand nombre d'illustrations. Tous les meilleurs artistes et spécialistes de la ketâbkhâneh royale y travaillent. Un telle œuvre par son luxe ne peut être comparée qu'aux copies du Livre des rois du temps de l'ilkhanat et les contemporains n'ont jamais rien vu de semblable. Les miniatures sont de différents styles. Certaines sont du pur style de l'école de Tabriz, d'autres de celui de Hérat et d'autres composées de manières plus ou moins mélangées. L'entreprise suivante est la commande d'un Khamseh qui est resté inachevé (certaines places vides laissées dans le texte pour les illustrations ne sont remplies qu'en 1675 par Mohammad Zaman). On y trouve quatorze grandes miniatures qui de façon fort raffinée marquent un tournant dans l'histoire du Livre des rois et des manuscrits de cette époque. Soltan Mohammad et d'autres peintres participent à cette entreprise. En plus de ces grands manuscrits de commande, les artistes, calligraphes, etc. possèdent aussi toute une clientèle de personnages puissants, de courtisans et de seigneurs qui leur commande des miniatures sur des feuillets à part. Beaucoup d'entre elles sont des portraits, souvent des princes idéalisés avec leurs domestiques ou bien de hauts personnages.

Au milieu des années 1540, Tahmasp perd peu à peu le goût de la peinture et de la calligraphie C'est aussi à cette époque que le malheureux empereur Houmayoun trouve asile à la cour de Tabriz, mais il est émerveillé par les artistes locaux. Lorsqu'il s'installe à Kaboul en 1544, il invite Mu'in Mussavvir, Mir Saïd Ali et Abd al-Samad. C'est le début de la grande peinture moghole. Tahmasp, quant à lui, a rompu avec l'art pictural. Il a dû batailler contre des chefs ouzbeks de 1524 à 1537. Les Ottomans lui ont enlevé Bagdad et la Mésopotamie en 1535 et il a dû pratiquer la tactique de la terre brûlée pour repousser les Ottomans. En 1544, le chah repousse encore une attaque ottomane et quand en 1555 il réussit à signer le traité de paix d'Amas, sa reconnaissance envers Allah ne connaît plus de limite. En conséquence, il fait publier dans tout le royaume un « édit de sincère reconnaissance » qui met hors la loi les arts mondains. C'est un coup d'arrêt à la production artistique. Les peintres qui ne peuvent émigrer en Inde se réfugient à la cour du neveu du chah, Soltan Ibrahim Mirza, qui se tient à Mechhed, où il est gouverneur jusqu'en 1564. Beaucoup d'entre eux travaillent à un manuscrit des Sept trônes (Haft aourang) de Djami. Lorsque Ibrahim Mirza est déchu de son gouvernorat pour se retrouver à la tête de la petite province de Sabzavar, il continue de patronner les arts.

Dans les années 1550, Tahmasp déménage sa capitale loin des attaques ottomanes, à Qazvin. Il se détourne de ses mesures précédentes et y ouvre une bibliothèque royale. Ses murs sont recouverts de fresques en 1573 qui représentent des scènes du Hеrchaspnameh d'Assadi dans le style des miniatures de la cour de Mechhed. Une école de peinture fleurit alors à Chiraz. Tahmasp meurt en 1576, ce qui inaugure une période d'instabilité. Son fils puîné Ismaïl II lui succède, après avoir passé vingt ans en prison pour avoir comploté contre son père. C'est un être cruel et jaloux ; il meurt empoisonné par ses officiers. Son frère aîné Mohammad Khoudabende (1577-1588), à moitié aveugle, lui succède, mais il passe son temps dans son harem plutôt que de s'occuper des affaires du gouvernement. Dans le pays, ce ne sont que rivalités et luttes tribales attisées par les ennemis extérieurs. Finalement, Mohammad abdique en faveur de son fils Abbas. Malgré son caractère extrêmement ténébreux, Abbas patronne la bibliothèque royale. Un Livre des rois inachevé de 1576-1577 subsiste de cette époque. Il est aujourd'hui dispersé en plusieurs feuillets.

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La mort d'Ismaïl II en 1577 porte un coup funeste à la production de manuscrits royaux. Son successeur Mohammad Khoudabende est à moitié aveugle et donc parfaitement indifférent à l'art de la miniature. La plupart des peintres de la bibliothèque royale de Qazvin se dispersent ailleurs, soit en Inde, soit dans l'Empire ottoman ; d'autres comme Habibollah, Mohammadi, Ali Asgar, cheikh Mohammad ou Sadiq Bek s'installent à Mechhed et à Hérat. Ils peignent surtout pour des raisons commerciales sur des feuillets à part, puisqu'il n'y a plus de grandes commandes royales. C'est ainsi qu'apparaissent de nouveaux thèmes, comme des pastorales, des parties de campagne montrant des princes et de hauts personnages, ou bien encore des scènes de musique en plein air, magistralement composées par Mohammadi par exemple. Toutes ces nouveautés permettent la création en dehors des grandes commandes étatiques d'un marché de l'art en Perse de plus en plus florissant.

Le règne d'Abbas Ier (1587-1629) sauve le pays de l'effondrement total. Ce chah est jeune, énergique ; il écarte ainsi tout ce qui peut affaiblir son pouvoir ou empêcher l'épanouissement national. Ses quarante années de règne sont considérées comme un « âge d'or » de l'histoire iranienne. Il n'a certes pas été chanceux au début dans les affaires extérieures, mais il a tout de suite mis de l'ordre dans les affaires intérieures et a permis ainsi à l'économie de prospérer. C'est seulement après avoir cumulé toutes les forces du pays au début du XVIIe siècle qu'il peut récupérer par l'épée les terres que son père avait perdues au profit des Ottomans. Il fait d'Ispahan sa capitale qu'il orne d'une place royale monumentale, de nouvelles mosquées et de palais magnifiques.

Dans les années 1590, la mode est de peindre des portraits sur des feuillets à part. Ce sont avant tout des personnages de la cour, mais il devient plus fréquent de peindre des cheikhs, des derviches, des personnages laborieux et même des concubines. Avec la prospérité du pays, apparaît un nouveau type de jeunes élégants vêtus à la mode dont les portraits sont réunis dans des albums. Mohammadi et Sadiq Bek continuent de travailler, mais l'innovation est représentée par le fils d'Ali Asgar, le grand Reza Abbasi. Reza prend part à l'illustration de manuscrits enluminés, mais surtout exprime la virtuosité de son art dans des feuillets à part. La période d'activité de Reza est fort longue, puisqu'elle débute à la fin des années 1580 pour se prolonger jusqu'en 1635. Il change plusieurs fois de style.

Au début du XVIIe siècle, les voyageurs européens pénètrent de plus en plus dans le royaume. Ils apportent avec eux des illustrations et des gravures, des livres comportant des planches, etc. qu'ils vendent aux Perses ou bien qu'ils offrent à leurs hôtes. Les Anglais de la Compagnie des Indes et les Hollandais de la Compagnie des Indes néerlandaises commencent à ouvrir en Iran des magasins et comptoirs de textiles. Des Européens arrivent : ce sont surtout des aventuriers, des négociants, des diplomates, quelques missionnaires, qui s'installent non seulement à Ispahan la capitale, mais aussi dans des grandes villes. Abbas Ier fait déporter d'Arménie un grand nombre de personnes dans un quartier spécial d'Ispahan, la Nouvelle Djoulfa, afin de développer les ressources et les débouchés économiques. Toutes ces influences diverses se sentent dans les miniatures. Une autre source de mélange des influences est la nouvelle peinture moghole. Celle-ci arrive d'Inde où l'empereur Akbar le Grand (1556-1605) favorise une idéologie multiculturelle, dont l'une des facettes est la libre diffusion de l'art européen et la tolérance du christianisme.  

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Malgré le fait que Reza utilise quelques sujets de la gravure européenne, il n'en demeure pas moins fidèle à la tradition persane, comme de ne pas suivre les règles de la perspective ou de ne pas faire d'ombre et lumière. La situation commence à évoluer vers 1640 et les successeurs de Reza expérimentent de plus en plus les canons et les sujets européens, bien que jusqu'à la fin du XIXe siècle la peinture persane soit presque totalement produite selon les canons de la tradition. Il ne s'agit donc que d'adaptations ou de touches. La peinture persane quant à elle meurt en tant que tradition vivante au début du XXe siècle.

L'influence de l'art de Reza Abbasi sur les peintres du XVIIe siècle est tout à fait particulière. Mir Afzal Tuni peint dans sa première période selon l'esprit de son maître Reza, à tel point que certains experts se sont trompés dans l'attribution des œuvres. Il participe entre 1642 et 1651 à l'enluminure d'une version du Livre des rois commandé par un haut fonctionnaire de la cour. D'autres artistes travaillent à une version du Livre des rois destinée au mausolée de l'imam Reza à Mechhed. Elle est achevée en 1648. L'un des enlumineurs est Mohammad Youssouf, célèbre pour ses portraits sur feuillets à part ; Mohammad Kassim est un des autres enlumineurs. Il travaille à la manière de Reza, sans le copier servilement, mais en composant des variations originales. Le fils de Reza, Mohammad Chafi Abbasi, se fait aussi connaître par ses décors de fleurs et d'oiseaux dans le goût persan adaptés de l'art chinois, non sans quelques concessions à l'art occidental.

Mohammad Ali qui œuvre dans la seconde moitié du XVIIe siècle se distingue par ses portraits de femmes raffinées, d'élégants jeunes gens et d'ermites. Cependant la figure la plus importante de la peinture persane de cette époque est sans conteste Mu'in Musavvir, élève le plus fameux de Reza. Il s'essaye à différents genres, de l'enluminure, à la production sur feuillets à part, dont les dessins aux trait fins et libres sont remarquables. Un autre maître, Djami, laisse des dessins dont on remarque l'influence européenne, car les traits de ses personnages sont légèrement modelés sur des effets d'ombre et lumière, et ils sont toujours suivis d'ombre, ce qui est absolument inhabituel pour la miniature persane. L'artiste se faisait appeler « faranghi saz », c'est-à-dire peintre dans le style franc (ou français). Un certain nombre de visiteurs européens commandent des œuvres à ces maîtres afin de fixer leurs impressions de voyage en Perse et d'en rapporter un souvenir en Europe.

Le chah Abbas II fait construire en 1647 à Ispahan le palais Tchehel Sotoun dont il fait recouvrir les murs de fresques. Les auteurs ne sont pas tous connus, mais certaines parmi les plus belles sont du pinceau de Mohammad Kassim. Les ombres portées sont respectées, tout en gardant le style traditionnel de la miniature persane. Une salle du palais est couverte de scènes de parties de campagne, une autre de sujets de la littérature classique et la salle principale est ornée de scènes historiques avec la représentation de réceptions par les chahs de diplomates étrangers, ou bien des batailles d'Ismaïl Ier. Ces œuvres sont copiées par les peintres en des formats plus réduits, en peintures sur laque.

En 1720, le pays est secoué par des révoltes qui détruisent les frontières et amènent les Afghans en 1722 à la tête du pouvoir avec Mahmoud Ghilzai. Celui-ci est victorieux de l'armée persane près d'Ispahan, et après sept mois de siège la capitale se rend. Soltan Hossein donne sa couronne à Mahmoud.

La dynastie des Séfévides cesse d'exister. Le dessin de Mohammad Ali intitulé Distribution des cadeaux de Nouvel An au chah Soltan Hossein peut servir d'épitaphe à cette époque. L'auteur malgré la banalité de cette scène officielle a réussi en son genre à transmettre l'atmosphère macabre du crépuscule de la dynastie des Séfévides.

La peinture de l'époque séfévide a trouvé en deux siècles la voie de la synthèse des styles d'écoles différentes : celle d'Hérat, celle de Tabriz, celle de Chiraz. Cette synthèse se réalise dans l'œuvre de Reza Abbasi qui est issu de la tradition persane mais de plus en plus influencée par l'art occidental.

D'après Wikipédia


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