Le cinéma français cherche ses saveurs derrière ses rondeurs caricaturales ou son adoubement espéré par Hollywood. Saint Amour a l’opacité d’un cépage et la simplicité d’un « Je t’aime » : réduire le film à son étiquette de vin de Bourgogne est aussi criminel que de parler d’un long-métrage tire-larmes singulier. Les adeptes des raccourcis devront noyer leur déception : derrière la simplicité prêtée aux réalisateurs Benoît Délépine et Gustave Kervern ou l’association hâtive à l’esprit Groland, le duo a décanté ses idées pour des émotions rares à apprécier au compte-gouttes. Le double jeu entre le sens premier et le sens figuré distingue le désir de l’amour, filme des êtres en proie au malaise d’être aimé et propose un idéal de quatre personnes qui cahotent ensemble dans un Hexagone mélancoliquement nôtre.
« Dessine-moi des moutons égarés. »
Un trio découvre bien plus que les espaces agricoles de la France. Ils découvrent des portraits banals, ordinaires, touchants, parfois troublants et créés pour rappeler que « tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes ».
Au coeur des mètres carrés artificiels du salon de l’agriculture, Bruno (Joué par Benoît Poelvoorde) fuit du regard et dans l’alcool l’autorité d’un père agriculteur (Gérard Depardieu) prêt à céder son patrimoine de veaux, vaches et taureaux. La ruralité caracole au physique bonifié de Gérard Depardieu : au-delà du cliché évité du paysan fier de ses terres, le rôle paternel à mi-chemin entre la réalité (La mort de Guillaume Depardieu) et fiction reste la ficelle la plus excellemment exploitée du personnage. Face à lui, Benoît Poelvoorde endosse la peau d’un fils quarantenaire : son refus de la cotte verte rurale devient le choix d’un ensemble vestimentaire sans manches, véritable porte à faux pour un éternel adolescent devenu adulte. La jeunesse morose boucle l’horizon des générations : sous les traits juvéniles principaux de Mike (Incarné par Vincent Lacoste), conducteur parisien à son compte, la nécessité n’est pas de s’enivrer mais de mentir pour exister dans un avenir d’inespérance.
A l’oeuvre, la seule magie du cinéma réunit trois portraits masculins sous leur jour sensible, trois existences dévitalisées par la perte (Le père), le manque (Le fils) et une honte maladive mal cachée à un jeune âge. (Esprit honni). Sans psychologie de comptoir, sans idéal romantique et dans la lie du vin, le duo de réalisateur prend ces malaises quasi mythologiques et y répond étape par étape par le besoin de la complémentarité, l’urgence déficitaire du sentiment et des portraits de femmes de femmes fortes au bord du vertige sentimental.
Benoît Délépine et Gustave Kervern nouent un scénario simple (Le besoin affectif) pour mieux l’habiller de peurs universellement compréhensibles (La peur d’être aimée, le besoin d’être extraordinaire aux yeux d’une personne …) et actuelles. (Plane le problème de la considération des paysans, les difficultés d’être taxi parisien, d’être jeune dans une France en crise …) Visuellement et du point de vue scénaristique, Saint Amour est à contre-jour du film Les Valseuses. (1974)
« Philosopher à petits coups de marteau … »
Par petits effets et scènes resserrées, Saint Amour n’a pas la liberté d’un film de voyages et de découverte. Dans l’individualité, Saint Amour délivre des notes d’espoir.
Saint Amour déroute doucereusement de son parcours vinicole ou du langage œnologique : ce n’est pas par incompétence complice des réalisateurs mais bien parce que la démarche de simplification l’exige pour comprendre, c’est-à-dire prendre la complexité émotionnelle avec soi ou pour soi. A petits coups de marteau, le film sonde les coeurs creux et l’absurdité de vies ordinairement bercées de tristesse. Filmer Michel Houellebecq avec un jouet d’enfant à la main n’a aucun intérêt sans connaître la détresse sociale suggérée sans effort dans la scène suivante. La caméra cadre souvent mal ses portraits masculins, réduit volontiers les « Je t’aime » de Bruno en recherche de coït ou le met en scène dans 10 étapes de l’ivresse pour une raison majeure : montrer le pire et sa souffrance préparent le sens plus sacré du « Je t’aime, mon fils. », de Gérard Depardieu ou rend le « Tu m’entends ? C’est Papa. », absolument indispensable.
Bruno entame une thèse en 10 points sur l’ivresse. Certes. Il décrit surtout l’étape de la honte tout en niant être alcoolique : tout un processus de détresse se met en place au fil du film avec l’élégance de l’implicite ou de la très forte suggestion.
Du film Les Valseuses, seul Gérard Depardieu en constitue le lien 42 années plus tard. La France de 2016 s’embourbe dans sa solitude, resserre les espaces (Le salon de l’agriculture – Nombreuses scènes d’intérieur – L’intimité des chambres – Une voiture …) et dégage sa gêne à envisager l’amour : n’est-ce pas Vénus (Interprétée par Céline Sallette) qui évoque l’acte sexuel comme un « lourd problème » finalement immortalisé à l’écran en toute pudeur ?
La nette simplicité n’empêche pas la beauté vénéneuse et partiellement dénouée à la toute fin de l’aventure. De l’ordinaire sans gloire, naît une décoction où la confiance, vivre sans honte, partager des émotions, fondent les vies sages (visages) extraordinaires.
Les 10 étapes de la responsabilité.
Le récit débute plus bas que terre. L’homme-porc, là où le regard s’arrête à juger un comportement « vulgaire ».
Saint Amour révèle un tanin puisque le vin de table des intérieurs privés, un prétexte réducteur, devient une motivation à découvrir les grands espaces géographiques de la France, un moyen de s’ouvrir émotionnellement et avec responsabilité aux autres. Subtilement, l’impératif Baudelairien « Enivrez-vous! » pour mieux fuir le temps et ses responsabilités se transforme en course contre la montre dans la recherche de sens pluriels. Annuellement et en quelques scènes, le salon de l’agriculture prend des allures d’huis-clos où l’alcool métamorphose l’événement en foire insensée, inodore et débauchée. En changeant d’échelle, Bruno quitte l’ivresse étouffante d’un ami (Joué par Gustave Kervern) pour le grand air peuplé de vies nouvelles. Le voyage d’un père et de son fils décidé sur un dépliant touristique plastique finit par déplacer le curseur de l’enivrement sur l’ivresse des sentiments.
Le périple du trio est avant tout un moyen de s’évader au contact d’histoires et de récits différents.
Le temps est compté pour un père aux cheveux blanchis. Il est un poignard pour un jeune homme de 24 ans moqué, maladroit et mal à l’aise depuis son adolescence raillée. Il se vit en pure injustice pour le quarantenaire. Quant à Venus, l’horloge biologique atteint une échéance fatale douloureuse face au désir d’un enfant impossible. Le quatuor forme un carré vertueux à l’image du schéma du récit : débuté bassement dans le foin parisien, le périple du vin est suivi d’une nouvelle halte au salon agricole pour s’arrêter définitivement sur 4 personnages en pieds, dans la paille et amoureusement prêts pour envisager l’avenir autrement.
Saint Amour chemine vers une simplicité stylistique utile pour délivrer un message émotionnellement et mécaniquement complexe. Abusivement réduit à sa vulgarité des premiers comportements filmés, résumé à son sens sens premier (Un vin de Bourgogne), Saint Amour déploie des arômes d’humour noir, illustre la douleur et adopte une robe tendrement belle.On a aimé :
+ L’élégance des portraits féminins.
+ Un film qui n’est pas tire-larmes.
+ Une écriture simplifiée et travaillée en ce sens.
+ Un sens profond figuré, malin et intéressant.
On a détesté :
-Une bande-son agréable et minimaliste. (3 pistes seulement)
– Une scène contemplative discutable. (Esthétiquement incontestable) Vénus sur un cheval, au coeur d’un Paris routier et engorgé.