La proposition de loi " visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation " de la députée Brigitte Allain, n'a pas été votée au Sénat. Le texte, adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, obligeait à introduire 40% de produits locaux, labellisés, de saisons ou en circuits courts dans la restauration collective publique, et d'inclure 20% de produits issus de l'agriculture biologique. (voir la proposition de loi sur le site www.senat.fr)
Les efforts du sénateur écologiste Joël Labbé n'y ont rien changé. Il avait entendu des craintes concernant des difficultés d'approvisionnement en bio, il a donc proposé d'assouplir le texte pour donner plus de temps aux responsables de la restauration et pour ouvrir l'obligation des 20% aux produits venant des fermes en conversion*.
Que reste t-il de la proposition de loi après le vote au Sénat ? Pas grand chose. Son principal article a été réécrit par le sénateur Bertrand Grémillet, agriculteur, non bio on s'en doute, et proche du syndicat agricole majoritaire -la FNSEA- qui lui a jadis confié des mandats.
Son texte est le suivant : " au plus tard au premier janvier 2020, l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics incluent dans la composition des repas 40% de produits issus d'approvisionnements en circuits courts ou de proximité et répondant à des critères de développement durable, notamment la saisonnalité des produits ".
Voilà qui va dans le sens de la demande de Xavier Beulin, président de la FNSEA, de fournir les cantines en circuits courts. Son objectif : venir au secours des agriculteurs français en difficulté.
Mais rappelons que 76% des Français souhaitent l'introduction de produits bio en restauration collective. C'est-à-dire des aliments qui n'ont pas reçu de traitements aux pesticides chimiques. Ces attentes des Français, particulièrement pour leurs enfants, importent peu au Sénat. Dans l'assiette également, la démocratie est en panne.
400 000 hectares en bio suffiraient
Quelle mention aux produits bio ? L'obligation d'utiliser 20% de produits bio a été supprimée. Le nouveau texte fait référence aux produits sous signe de qualité, et pas forcément bio. Ils ont introduits " en fonction des capacités de production locales ".
Mais les capacités de production existent déjà et l'offre est déjà structurée, s'est empressée de rappeler la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), principale organisation de producteurs bio. Comme il est question de fournir la restauration collective depuis le Grenelle de l'environnement de 2008, les producteurs bio se sont organisés dans bien des régions comme le montre la carte des plateformes de producteurs bio pour la restauration collective identifiées par la FNAB en mars 2016. Ce qu'il manque, c'est un signal politique fort pour faire évoluer les habitudes des gestionnaires de cantines.
" Moins de 400 000 hectares suffiraient à fournir 20% de produits bio en restauration collective (3 milliards repas/an). Pour rappel, l'agriculture bio représente 1,3 million d'hectares en France fin 2015 et 220 000 ha ont été convertis, uniquement en 2015 ", rappelle Europe Ecologie les Verts dans un communiqué.
Ce vote déçoit de nombreuses associations citoyennes. Il donne une fois de plus l'impression que les sénateurs sont bien plus sensibles aux intérêts corporatistes et économiques qu'à ceux des citoyens. Rappelons qu'ils ont également refusé en janvier d'interdire les insecticides néonicotinoïdes tueurs d'abeilles.
"Alors que le secteur agricole traverse une crise sans précédent, le vote du Sénat est incompréhensible. Les parents apprécieront à sa juste valeur le jeu de postures d'une majorité de sénateurs qui se traduit par un rejet d'un objectif qui aurait amené une nourriture de qualité, bio et locale dans l'assiette de leur enfant. A ce jour, la part de la bio en restauration collective ne représente que 2,7% des achats alimentaires, seuil que les sénateurs considèrent manifestement comme " globalement suffisant " !" a réagi l'association Agir pour l'Environnement dans un communiqué.
Seule une forte pression citoyenne, une fois encore, permettra peut-être aux Français de choisir le contenu de leur assiette quand ils ne mangent pas à la maison. Une liberté pourtant tellement élémentaire et primordiale ! L'Association Agir pour l'environnement a lancé une nouvelle pétition en ce sens : "Il faut sauver le bio dans les cantines".
Anne-Françoise Roger
* La conversion à l'agriculture biologique correspond à la phase de transition entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique. Cette période implique souvent une refonte en profondeur du système de production. Sur le plan administratif, cette période dure entre 2 et 3 ans selon les productions.