Partager la publication "[Critique] BROOKLYN"
Titre original : Brooklyn
Note:
Origine : Irlande/Grande-Bretagne/Canada
Réalisateur : John Crowley, Paul Tsan
Distribution : Saoirse Ronan, Emory Cohen, Domhnall Gleeson, Jim Broadbent, Julie Walters, Jessica Paré…
Genre : Drame/Romance/Adaptation
Date de sortie : 9 mars 2016
Le Pitch :
Au début des années 50, Eilis, une jeune femme, quitte son Irlande natale pour s’installer aux États-Unis en quête d’une vie meilleure. Peu après son arrivée, à New York, elle fait la connaissance d’un garçon qui parvient à lui faire oublier le mal du pays. Enfin heureuse, elle voit pourtant son existence à nouveau basculer lorsqu’elle est rappelée chez elle…
La Critique :
Un romancier pour en adapter un autre. En l’occurrence, Nick Hornby et Colm Toibin. Si Toibin, dont le livre est ici illustré reste relativement peu connu chez nous, ce n’est pas le cas de Nick Hornby, dont les écrits, déjà populaires en librairie, furent adaptés au cinéma à plusieurs reprises (High Fidelity, Pour un Garçon…). Hornby dont la plume, douceâtre et empathique, semblait faite pour amener dans les salles obscures l’aventure de cette jeune irlandaise au-delà de l’Atlantique qui au final s’avère être un véritable enchantement.
Nommé, dans plusieurs catégories parfois, aux Oscars, aux Baftas (où il fut élu Meilleur Film Britannique) ou aux Golden Globes, Brooklyn s’est présenté aux public précédé d’une réputation de mélodrame à l’ancienne. Quand on voit le film aujourd’hui, force est de reconnaître qu’il mérite bien plus que cette étiquette réductrice, qui pourrait en outre effrayer une partie du public. Alors oui, en effet, le film de John Crowley et de Paul Tsan est classique. Mais pas dans le mauvais sens du terme. Bien au contraire, tant le spectacle qui se déroule sous nos yeux arrive rapidement à susciter une foule d’émotions, dont certaines sont trop souvent oubliées, ou plus globalement sabordées par des longs-métrages opportunistes et préfabriqués. Pas de ça ici…
Nick Hornby a accompli un travail admirable. Son écriture que l’on savait déjà capable d’embrasser, souvent de manière très habile et discrète, divers genres, impose une sensibilité inouïe et une rythmique parfaitement à propos. Dès les premières scènes, Brooklyn passionne. À la mise en scène, le duo de réalisateurs composé de John Crowley et Paul Tsan vogue sur les mots de Hornby, qui fait preuve d’une compréhension totale de l’œuvre de Colm Toibin. Sans la dénaturer, il opère des coupes pertinentes, parvient à souligner les fulgurances, à exploiter les non-dits et se met plus généralement au service d’une belle histoire. De celles qui parviennent à sublimer chacun de ses aspects, sans aucun manichéisme, mais surtout sans sombrer dans le pathos et la guimauve.
Car en effet, jamais Brooklyn ne ressemble ne serait-ce qu’un peu à ces films à l’eau de rose. Le triangle amoureux au centre de l’intrigue n’est pas exploité d’une façon classique. Comme si il se moquait de tout ce qui avait été fait avant lui, le long-métrage y va franchement, trace sa route et ne se soucie guère des clichés qui pourront être soulignés à l’arrivée par la critique ou le public. Des clichés qu’il réinvente pour en extirper un lyrisme parfois oublié.
Les images sont superbes. La reconstitution des années 50 aussi, malgré un budget limité, dont les contraintes sont habilement contournées et qui finissent même pas profiter à l’harmonie évidente du tableau dépeint. La photographie d’Yves Bélanger, déjà en poste sur Wild, de Jean-Marc Vallée, évolue au rythme du parcours de l’héroïne, illustrant les changements de tonalité avec une fluidité rare. Baigné par des paysages imprimant de leurs couleurs la psychée des protagonistes et du même coup la notre, le film est une partition poétique d’une fulgurance discrète mais bel et bien dévastatrice.
Au centre du récit, Eilis, la jeune fille en question, déracinée de son Irlande natale pour mieux s’épanouir chez l’Oncle Sam, n’aurait pas pu trouver meilleure interprète que la jeune Saoirse Ronan. Une comédienne par ailleurs déjà exceptionnelle dans des œuvres comme How I Live Now, Hannah, Lovely Bones ou Byzantium, qui ne cesse de dévoiler au fil des rôles un talent à proprement parler extraordinaire. Dans le cas présent, dans un registre charriant d’une certaine façon une idée noble et joliment désuète du métier même d’actrice, elle fait plus que simplement jouer la partition qu’on lui propose. Elle se l’approprie. Avec une classe innée, elle fait peser dans la balance son propre vécu, profitant des similitudes entre son personnage et son parcours pour offrir un supplément d’âme au long-métrage, qui finit par donner le La à tout un ensemble. Saoirse Ronan est ainsi une nouvelle fois irréprochable, menant toute une troupe de comédiens parfaitement dirigés, à l’image du décidément excellent Domhnall Gleeson ou d’Emory Cohen.
Au-delà de toutes ses qualités techniques indéniables, la force de Brooklyn est d’arriver, par l’éloquence de ses images, de sa mise en scène pleine d’un souffle canalisé à la perfection et de son écriture enlevée, axée sur la pureté des émotions, et grâce au talent de ses comédiens, à inclure le spectateur dans une dynamique vraiment particulière. Sans crier gare, le film prend à la gorge, sait se montrer drôle puis émouvant. Il capture la complexité d’une vie que d’autres auraient eu vite fait de réduire à une succession de lieux communs. Il lit entre les lignes, se focalise sur les petits détails et dépoussière totalement le genre auquel il s’attache en en remodelant les contours.
En découle un spectacle formidablement délicat. Un film de cinéma grandiose, soigné et fédérateur, nourri de la passion des artisans qui en sont à l’origine. Brooklyn est également d’une générosité exemplaire et ne se repose jamais sur ses acquis. Sans cesse en mouvement, il sublime ses propres codes.
Authentique et vibrant portrait de femme, il s’attache à retranscrire un parcours de vie et parle en filigrane d’ambition, d’amour et de cette nécessite parfois étouffante d’arriver à exister au sein d’une société qui impose sa loi. On pourrait reprocher à l’héroïne de ne chercher qu’à se caser, mais ce serait une erreur grossière découlant d’une totale incompréhension de l’histoire. Car Brooklyn reste ancré dans l’époque qu’il se plaît à retranscrire sans chercher à imposer un discours préfabriqué qui aurait nuit à la cohérence. Le tout en se montrant d’une modernité sans équivoque, avec une intelligence et une tendresse qui font tant défaut à un certain cinéma aujourd’hui.
@ Gilles Rolland