Louise V. Labrecque
Il y a aussi cet artiste, dans ses ateliers, de vieilles
granges sans chauffage, qui façonne l’hiver pour la millième fois, et avec des
gestes herculéens, afin de peindre des tableaux arides, très élaborés, souvent
de très grandes dimensions, tels ces panneaux géants, par dizaine, afin de
constituer l’immense « Fresque de l’Humanité », ou comme l’écrivent
certains journaux : « L’Histoire de la Vie en peinture » ; de la
même manière, il est difficile et périlleux de capturer la grande ourse, l’étoile
scintillante; le voilà ainsi accroché aux plafonds des vieilles églises, afin
d’y dessiner une fleur, d’y graver à la main des oiseaux, d’y peindre cet ange
musicien, lequel deviendra illustre, nous ne savons pas encore quand, mais qui
le deviendra, c’est certain. Aussi, les chevaux, toutes sortes de personnages
mythologiques, des morceaux d’Histoire, la nôtre, notre Histoire, tout
simplement.
L’Antre de l’oubli
Au passage, quelques notations plaisantes, car le beau temps
a duré longtemps, l’automne dernier, et c’est là qu’il a pris naissance, très
concrètement, le goût d’écrire sur l’art et la pensée de l’Art. Je marchais lentement, ce jour-là, beaucoup
plus lentement qu’à l’habitude, comme en contemplation, face à la rivière
majestueuse, et plus loin, dans le petit parc Saint-Maurice où tout fleuri, au
bout de la Promenade de la Cité de l’Énergie, j’ai vu l’horizon un peu comme la
mer; j’ai vu ainsi la belle saison odorante avancer avec moi, me conduisant
tout doucement au bout du chemin, vers cet antre de l’oubli, où la vie se
résorbe en un travail de création; oui, ce sont des surprises agréables.
Toutefois, chez Dumoux, comme nous avons déjà vu, ou
pressenti, ses aptitudes : tout demeure là, dans ses ateliers; tout déborde, « des stocks », pour
reprendre le mot de Michel Leiris : oui, des « stocks ». Et, de cette accumulation, du banal au
fantastique, un contraste tout simplement génial, nous frappe, comme la terre
et l’eau en fusion ardente. Nous le voyons dans toutes ses épaisseurs et dans toutes
ses transparences. C’est la dimension humaine de l’art, sa part de sacrée, dans
l’acte de saisie de soi-même, on se retrouve soudain chez soi. Or, l’acte
créateur, c’est la transmission de nos racines, à la fois catholiques et
françaises. C’est cette expérience (extra) sensible, (extra) lucide, afin de
retrouver le sens de notre chemin, puis de notre Histoire. Bien sûr, cela passe
par le goût de nos Belles Lettres et de nos Beaux- Arts, dans sa réalité
retrouvée, son temps perdu (puis retrouvé), toutes ses dimensions, même si cela exige une
urgence de vivre, et puis, plus tard, d’aimer, de fuir avec elle : la Beauté,
le fruit suprême, enfin suspendue à nos lèvres. Ainsi, du Québec à la Mère
Patrie, nous relisons notre épopée populaire, avec en tête un bloc- note de
satisfactions : les ressemblances et les différences; notre
complexité individuelle et collective.
Quand bien même nous insistons sur les Classiques et nos Humanités, le contexte
suffit à peine à préciser le sens et l’usage; allez donc visiter les ateliers
de Raymond Dumoux, entrez également dans les musées voir les Giotto, Renoir,
Bosch, Rembrandt, Matisse, Dali, et les autres… ! La réalité nouvelle sera saisissante, pour
voir, pour qui a des yeux capables de voir, et de contempler, dans un langage
simple et direct, nous transcendons ainsi, enfin, la trivialité. Le pays tout
entier parle : roches, nature, culture, voyages, visages et gens.
L’artiste, c’est un héros naturel. Il pourrait bien se contenter de lutter
contre les aléas de l’hiver, la misère et la maladie, oui, au fil du récit, il
le fait, il lutte, afin de demeurer vivant dans la nécessité; or, je
cherche aussi, surtout, à écrire comme
si c’était un roman d’amour. L’art,
c’est toujours un exil par en dedans, vers le cœur. Il faut des braves,
pour ce faire; il faut oser pour vibrer, n’ayant pas peur de nous-mêmes, afin de
prendre, une nouvelle fois, des risques; n’ayant pas peur des possibilités de
déception et des humiliations. L’artiste, tel un peuple fier, reviendra ensuite lentement de sa lutte, parce qu’il est
de ceux qui n’ont de maîtres qu’eux-mêmes.
Les Braves
Le discours essentiel des artistes, le comment du pourquoi, c’est
aussi cette question d’autrefois, qui se reconnaît en se nommant encore de nos
jours « passion » ou « feu », dont je déduis l’inutilité à
vouloir expliquer, consoler; l’œuvre qui vous console est trop souvent comme un
livre qui se console; une très grande œuvre serait peut-être comme celui qui
console sans se consoler. Ainsi, l’art dans cette posture devient salvateur
pour nos Lumières; quelle belle façon en effet d’expliquer ainsi le mystère. En
somme, un très grand artiste, avec ou sans son œuvre, serait peut-être comme cette vapeur d’eau en
fusion, ou comme la fabrication du verre, lorsque l’on souffle dedans, afin
qu’ainsi née de la braise, l’œuvre se matérialise instant après instant. De la
même manière, je pense aux grandes œuvres comme à des êtres transparents. Ils
sont faits de cette vapeur, ils sont faits de cette fusion, ce feu; de cette passion. Cela dépasse, en somme,
notre Histoire de l’art et notre folklorique vocabulaire venu des gens d’outre
mers; et deux pierres deux coups ! Ainsi, et c’est pratique : j’aime par
exemple « Maria Chapdelaine », avec ou sans retouche du national,
avec ou sans identification précise ; de l’autre côté, de toute manière, on y
voit encore trop souvent que du feu, du bois, et des mouches noires. Aussi, j’aime « Le Survenant »;
j’aime « La Petite Poule d’eau »; j’aime nos arts et notre
littérature, sans risquer de comparaison à notre expression, à nos accents, trop longtemps habitués, de toute façon, à
s’examiner des pieds à la tête, car il est vrai : l’art est toujours une
révélation, comme une déclaration d’amour.
De plus, je ne sais pas si la confrontation avec l’art et la
pensée de l’art, cette vague qui nous soulève, pourra sauver réellement, elle qui devrait pourtant
transformer le pays. Je voudrais en être, avec vous toutes et tous; avec les
artistes géniaux et véritables, et aussi avec tous les entrepreneurs audacieux,
capables de génie, tous les gens courageux en quête du meilleur, en somme avec
tous les braves d’hier et d’aujourd’hui : ceux-là qui veulent faire
quelque chose pour le Québec, mais qui se réveillent aujourd’hui non pas comme
dans les années soixante, alors que la confrontation du politique avec les arts
était comme lorsqu’on regarde les étoiles et qu’on se sent envahi par une telle
émotion. Or, la nouvelle réalité artistique, cela n’est pas qu’une affaire de
conscience sociale; les arts ne cherchent pas de circonstance, ne sont pas
opportunistes, ne sont pas politique. Ainsi, dans ce monde, une chose est
encore perfectible. Et, il nous faudra bien nous rendre compte, un moment donné,
que cela devient possible, qu’il y a des gens qu’il faut commencer à regarder
avec le plus grand sérieux, sans se laisser toutefois influencer, car l’art
c’est aussi comme un roman historique qui s’écrit; et si nous ne l’avons pas
pris suffisamment au sérieux par le passé, au lieu de tenter d’y faire entrer notre langage,
nous devons maintenant l’observer avec une nouvelle maturité, afin de comprendre, une bonne fois pour toute, d’où on
vient, pour de se (re)demander ensuite, une nouvelle fois encore, où l’on va.