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Henri Calef, cinéaste oublié

Publié le 13 juin 2008 par Mgallot

Le cinéma français d'après-guerre pâtit d'une image très négative, véhiculée par la nouvelle vague dans les années 60, puis reprise par les critiques et historiens du cinéma. Tout n'est probablement pas à sauver dans cette production que l'on connaît bien mal, mais certains cinéastes, dont la majorité des films sont devenus impossibles à voir (aussi bien au ciné qu'en DVD), ont été à tort relégués dans l'oubli. C'est le cas de Henri Calef, qui a tourné une vingtaine de films entre les années 40 et 70.

Je salue donc l'initiative de l'institut Lumière d'organiser une soirée pendant laquelle deux films de Henri Calef ont été projetés, en présence de la veuve du cinéaste, Mme Calef. Qui plus est, avec entrée gratuite pour les abonnés, dont je suis, ce qui a assuré une salle pleine pour un cinéaste que personne ne connaît! Si ce n'est pas un vrai travail de cinémathèque, je ne m'y connais pas.

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Sur les deux films projetés, je n'ai vu que le premier - je suis incapable de voir deux films à la suite, comme si j'avais besoin de digérer celui que je viens de voir avant de d'en regarder un autre - un film tourné immédiatement à la fin de la guerre, en 1945 et inspiré d'un fait réel: "Jéricho". L'histoire est simple, un train de marchandise allemand est bloqué en gare suite à la destruction d'un pont par des résistants français. Les Allemands exigent 50 otages qui se porteront garants du train. En cas d'attentat contre le train, les otages seront fusillés.

Le scénario, signé Charles Spaak, est excellent. Les 50 hommes sont présentés progressivement pendant la première heure de film, chaque petite séquence les montrant avant qu'ils soient choisis comme otages, et sans qu'on sache encore ce qui les reliera entre eux. Une fois pris en otage, à quelques heures de leur exécution (le train a été attaqué par les résistants), ils seront gardés dans une chapelle: on retrouve alors les visages et les personnalités déjà rencontrés dans la première partie du film. Ce huis-clos est rendu avec sobriété et un humanisme majestueux, la tension est bien présente mais sans emphase non plus (aucune musique dans ce film), c'est un superbe moment de cinéma, avec des dialogues inspirés, des acteurs qui jouent très juste.

Du rythme, de l'inventivité, des hommes intensément humains, quel plaisir pour le spectateur! Pas étonnant que le film ait été un grand succès populaire à sa sortie. La photographie, signée Claude Renoir, est aussi remarquable. On retrouve quelques traces de l'expressionnisme dans la manière de filmer les visages en gros plan et les éclairages.

J'ajouterais que pour le spectateur du XXIème siècle, une grande partie du charme réside dans la proximité entre les évènements historiques que relate le film et le moment de son

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tournage. On sent encore très présente cette période de l'occupation à une multitude de petits détails. Selon Bertrand Tavernier, qui a présenté le film, le tournage aurait été particulièrement émouvant. On comprend assez aisément pourquoi.

C'est peut-être aussi ce qui explique certains défauts du film. J'ai été un peu gênée de la représentation de Allemands, plutôt caricaturaux - obsession de la ponctualité, rigidité, autoritarisme, tout y passe, jusqu'à la manière de marcher en levant haut le pied, jambe tendue. Qui plus est, ils sont tous joués par des Français, au faciès parfois trop français pour passer pour des Allemands, même avec l'uniforme nazi, et surtout avec un accent allemand "de cinéma" qui rend inaudible ce qui est dit et force le trait (vous savez, cet accent heurté, proche du jappement, de l'allemand entendu par une oreille française qui ne le comprend pas - j'ai été assez souvent en Allemagne et n'ai jamais entendu un Allemand parler ainsi).

D'autres personnages sont assez mal interprétés, en particulier les joueurs de cartes du bistrot qui font très "comédie française", ou encore les résistants qui manient le langage comme dans un salon littéraire. Mais sur une cinquantaine de seconds rôles, la majorité sont très bien joués. J'ai un petit faible pour le maire, un personnage à la dignité exemplaire, qui, quand les Allemands lui demandent de choisir 50 otages parmi la population locale, présente en début de liste lui-même et ses conseillers municipaux (du moins ceux qui ont le courage de ne pas démissionner au dernier moment: cette scène du conseil municipal est absolument savoureuse!) On le retrouve plus tard dans la chapelle, avouant sa peur de la m

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ort et proposant aux hommes d'organiser un jeu, pour tenir le coup jusqu'à leur exécution. Il faudrait aussi parler des cinq détenus compagnons de cellules, à la prison, qui organisent leur quotidien et apprennent à vivre ensemble dans un tout petit espace, malgré leurs différences (encore un superbe huis-clos!)

Les critiques reprochent surtout à ce cinéma d'après-guerre de donner une image fausse de l'attitude des Français pendant la guerre et d'en faire presque tous des résistants. Bertrand Tavernier a insisté hier sur la complexité de la représentation des Français dans "Jéricho", qui ne met pas en scène que des héros. Certes, le personnage interprété par Pierre Brasseur est un collabo assumé (doublé d'un lâche), mais je ne suis pas exactement d'accord avec Bertrand Tavernier, la majorité des Français du film sont, à des niveaux différents, des résistants: le cordonnier qui héberge un clandestin, le médecin qui sauve des pilotes parachutés de la RAF, le nationaliste qui chante la Marseillaise dans la rue, la fille du chef de gare dont le petit ami met le feu au train grâce à l'intermédiaire d'un pharmacien, et même ces joueurs de cartes pour qui la belote est tellement sacrée qu'ils ne respectent pas le couvre-feu.

Peut-on cependant condamner un film tourné en 1945 parce qu'il met en avant l'attitude des Français pendant la guerre et rend hommage aux hauts faits de la résistance? Evidemment, ce n'est pas un document historique exact. Evidemment, l'intervention finale de la RAF est trop synchronisée avec le moment de l'exécution des otages pour qu'elle corresponde exactement à la réalité. Mais, après tout, qu'importe? C'est du cinéma! Doit-on le juger sur de tels critères et le jeter aux oubliettes pour avoir forcé la vérité? "Jéricho" est un film poignant, d'une humanité nuancée et colorée, un film épique et pathétique, un film où parfois, malgré le drame qui se joue, on rit et on jubile. Que demander de plus?


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