Le mystère Tintin, les raisons d'un succès universel par Renaud Nattiez

Par Mpbernet

Enfin un livre sérieux, superbement écrit par un spécialiste de ma génération, qui apporte non pas une exégèse de l’œuvre de Georges Rémi à travers sa psychanalyse – ou si peu – mais des éléments objectifs de compréhension du succès planétaire des aventures de Tintin. Si j’ajoute que son auteur est à la fois ancien élève de l’ENA, docteur en économie, diplomate et aujourd’hui encore haut fonctionnaire, la performance n’en est que plus éclatante. Car des bouquins sur la vie et l’œuvre d’Hergé, je crois en avoir lu des palanquées – depuis le meilleur (la biographie de Pierre Assouline) jusqu’au plus indigeste (celui de Pierre Fresnault-Deruelle). Et s’il en est un à lire, c’est celui-là !

Tintin, pour moi, comme pour Renaud Nattiez, est la source première de ma culture générale, de mon désir de voyages et d’approfondissement des mondes extérieurs, de ma connaissance des systèmes politiques. Je connais toutes les aventures de Tintin par cœur, toutes les références citées dans cet ouvrages me « parlent » et m’éclairent. Et maintenant, à bientôt 70 ans, je suis prête à relire pour la énième fois toute la série avec de nouvelles clés.

Les raisons du succès mondial des aventures de Tintin tiennent à plusieurs facteurs, au premier rang desquels la facilité pour chaque lecteur de s’identifier au héros, du fait même de son indétermination. Ce que les « sachants » nomment le vérisme. C’est ce qui permet la lecture à plusieurs niveaux de l’histoire, qui séduit effectivement de 7 à 77 ans.

Une autre caractéristique mise en lumière par l’auteur : la cohérence de construction de chaque histoire. A part les trois premiers albums de la jeunesse (Soviets, Congo et Amérique) et les trois derniers (Vol 714, Picaros et Alph’Art), les aventures suivent un canevas inchangé dont les étapes sont les suivantes : le calme et la sérénité de la vie quotidienne, un fait anodin, la mise en route rapide de Tintin qui prononce une phrase-signal indiquant l’engagement dans l’action, le départ (sauf pour les Bijoux !), les épreuves (une énigme à résoudre, un ami à sauver, un trésor à ramener, une cause scientifique à servir) qui sont destinées à assurer la victoire du Bien sur le Mal, le retour à l’état initial après un gag final et un hommage aux héros. Cette progression est ponctuée de récapitulations et de conversations éclairantes.

Une nouvelle grille de lecture, qui explique enfin pourquoi on est généralement dérouté par les trois derniers albums (qualifiés par l’auteur de déviants), justement parce que ce schéma n’est pas respecté et le manichéisme originel estompé. Après Tintin au Tibet et les retrouvailles avec Tchang, Hergé, ayant atteint la sérénité, n’a plus tout à fait envie … et dans le dernier opus, inachevé, il fait même mourir son héros. Ce pourquoi il n’autorise pas la reprise des aventures de son héros par quiconque …

Comme l’auteur, entre Le Lotus bleu et les bijoux de la Castafiore, je retrouve donc mes albums préférés, que l’auteur qualifie de « canoniques », aux repères bien marqués, transcendant frontières, langues et cultures. Tintin est mort, Hergé est mort, et moi je ne me sens plus très bien sans lui …

L’avenir dira si les plus jeunes – comme mes petits-enfants – apprécieront eux aussi cette grande œuvre du XXème siècle. Renaud Nattiez en doute, moi aussi !

Le mystère Tintin, les raisons d’un succès universel, essai de Renaud Nattiez édité par Les Impressions Nouvelles, 357 p. 22 €.