L’enfant libre

Publié le 08 mars 2016 par Mentalo @lafillementalo

L'enfant libre étale le sable magique sur le sol pour y faire une piste de cross pour ses petites voitures. L'enfant libre est un lion quand elle n'est pas un chien. Autrefois elle se déplaçait courbée, le regard au sol, en répétant " je cherche des empreintes d'animaux ". Elle était Kirikou. L'enfant libre a les pieds noirs de courir sans chaussures en toute saison, les mains noires de les glisser partout pour tout explorer. Le soir, si elle a passé une bonne journée, c'est une petite fille noire comme un petit cochon corse qu'on plonge dans la baignoire. L'enfant libre voudrait ne jamais s'habiller - du moment que la sorcière pince-fesses, sa mère, ne passe pas dans le coin - ni se coiffer. Elle peut passer des heures dans le bain ou sous la douche - elle est alors une grenouille, une baleine ou un requin. Elle pose sur sa tête le chapeau de magicien, saisit la baguette magique et vous transforme sans prévenir en saucisson. Elle s'enfuit alors en riant et son rire emplit soudain la maison. L'enfant libre mange peu, lorsqu'elle est invitée à table elle déclare " je ne veux pas de croquettes pour chien ! " et nous voilà cinq à rugir avec entrain, ces croquettes sont bel et bien pour les lions, si Sa Majesté daignait goûter ?

L'enfant libre n'est jamais fatiguée, ni le matin vers cinq heures le dimanche, ni le soir vers vingt-deux heures le vendredi. Alors elle danse et chante et raconte des histoires, sort de sa chambre pour nous entretenir de ses réflexions : " je ne peux pas aller dans mon lit, il y a une chose étonnante ! ". Un bisou, un câlin, et la promesse de s'en occuper demain, et elle y retourne tout de même, au royaume des lionceaux fatigués. Jamais !

L'enfant libre compte les doigts, les marches d'escalier et les pièces de monnaie qu'elle chaparde quand on les laisse traîner, c'est son trésor de guerre. Pour le compte des bonbons et de chocolat, elle se trompe toujours : " je n'en n'ai mangé qu'un ! " dit sa bouche, alors que ses yeux frisent et disent le contraire. L'enfant libre reconnaît les lettres, écrit ses initiales dans la buée des vitres, dans le sable ou la neige. Elle dessine les bonshommes avec les bras à l'horizontale et les pieds en oblique, et un sourire jusqu'aux oreilles. L'enfant libre fait les voix des histoires, et parle aux animaux comme aux humains. L'enfant libre a une mémoire d'éléphant, gare à vos promesses et si vous mentez sur la couleur de vos chaussettes. Le matin, quand les copains de son âge montent dans le bus de l'école, elle leur dit salut, à tout à l'heure, et s'en retourne à ses courses effrénées à vélo contre ses adversaires imaginaires, ses jeux sans fin (du moment qu'ils font beaucoup de bazar), et ses repas complets en pâte à modeler. L'enfant libre veut toujours aller promener, il faut renifler le vent et sentir la rivière, accueillir le soleil et dire à la lune d'aller se coucher, lâcher les poules et nourrir les canards, semer les salades et récolter les tomates, chasser les limaces et écouter le chant des oiseaux. L'enfant libre a toujours quelque chose à faire, et c'est toujours plus passionnant que se résoudre à dormir.

L'enfant libre cueille d'innombrables fleurs qu'elle offre à sa mère avec des bouquets de câlins et de je t'aime, cherche-t-elle à se faire pardonner les nuits écourtées ? L'enfant libre se glisse en douce sur le canapé ou dans le lit de ses aînés, pour bientôt y prendre toute la place, avec son sourire désarmant.

Ce matin le directeur de l'école a appelé: il serait tout de même temps de penser à inscrire l'enfant libre pour la prochaine rentrée, assez buissonné! L'enfant libre s'en fiche éperdument : il n'est pas venu encore celui qui la mettra en cage.