LU POUR VOUS — «CE PAYS QUI TE RESSEMBLE»
Un dialogue des civilisations où les femmes mènent le jeu !
Tobie Nathan nous entraîne dans une épopée audacieuse où les apparences s’attachent aux vies mouvementées de familles marquées par des individualités fortes, mais où nous découvrons bien vite qu’il défend brillamment une thèse étonnante de dialogue des civilisations où la vie jette les destinées des uns vers celles des autres, par delà les confessions religieuses et les dissonances sociales ; là où ce sont les femmes qui prennent les initiatives et qui jettent les ponts.
Éditions Stock — le 19 août 2015
‘’Nous vivons près des Arabes comme un homme vivrait près de son foie. Leur Coran contient nos histoires et notre bouche est remplie de leur langue’’ : voici peut-être la phrase-clef du roman de Tobie Nathan, celle qui pourrait résumer l’essentiel dans cette longue saga où tout est complexe, aussi loin des évidences qu’il est possible de l’être. Il s’agit d’une pensée d’Esther (mère de Zohar, l’un des deux premiers personnages du roman) qui en appelle à une Arabe pour avoir un enfant, en ces débuts du XXe siècle où beaucoup croyaient à la puissance de l’occulte, au commerce avec l’au-delà, à la dépendance de l’ici-bas empirique vis-à-vis de forces invisibles mais radicalement influentes sur les destinées. Et la voici lancée dans un long parcours truffé de difficultés et de patience, avec pour seule arme la confiance en celle qui est réputée parler aux esprits mais qui n’est pas de la même religion.
‘’Ni la terre ni le ciel ne nous adressent de signe’’
Une fraternité lie immédiatement les deux femmes, mais pas seulement. Car nous sommes pris dans un tourbillon de tantes, de grand-mères, de voisines, de connaissances, de ‘’sœurs’’ que l’on va chercher partout, loin dans la jungle des innombrables quartiers du Caire… Quand on a tout simplement besoin d’aide, on va la chercher là où elle se trouve, on fait amende honorable, on raconte les petits et grands malheurs, on conjure, on se lance à corps perdu dans de nouvelles amitiés, on invoque implicitement la solidarité féminine… En vérité, le sens ‘’pratique’’ des femmes est un fil rouge du roman, une balise pour comprendre où l’auteur veut en venir. Des pensées personnalisées en une forme étonnante de sagesse. Un exemple, pour contourner le rabbin du coin : ‘’Lorsque Dieu veut envoyer une âme sur terre, ce n’est pas au rabbin qu’il s’adresse, mais au ventre des femmes.’’Sarah n’a rien contre Mourad mais elle se réserve la liberté d’agir à sa guise quand elle décide d’avoir un enfant après des années passées à attendre. Il aura beau lui expliquer qu’il faut ceci, qu’il faut cela, elle se lance en découvrant un trait de caractère commun à beaucoup de femmes dans le roman : ‘’Ni la terre ni le ciel ne nous adressent de signe lorsque la détresse nous assaille. Celui qui ne part pas à la recherche des messages, celui-là mourra dans la rue, seul, comme un chien.’’ Car Esther affiche son refus des fatalités des héritages de ceux qui en sont venus à ne bouger qu’entraînés par les autres, qui peuvent ainsi les manipuler et les cantonner dans l’ignorance. C’est ce refus qui signera son affirmation personnelle et celle de quelques autres vouées à l’action.
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Ce n’est rien de moins qu’une épopée audacieuse que racontent plus de 500 pages vite parcourues, où les apparences semblent d’abord s’attacher aux seules vies mouvementées de familles marquées par des individualités fortes, mais où nous découvrons bien vite que l’auteur caresse une ambition beaucoup plus grande en défendant brillamment une thèse étonnante de dialogue des civilisations où la vie jette les destinées des uns vers celles des autres, par delà les confessions religieuses et les dissonances sociales. Avec une particularité remarquable car ici ce ne sont pas de grands théoriciens qui mènent ce dialogue complexe, ce sont les femmes qui prennent les initiatives et qui jettent les ponts, avec un langage direct, des pensées limpides et des actions époustouflantes d’indépendance.
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