Dmitri Tcherniakov monte à l’opéra national de Paris un spectacle qui réunit lyrique et ballet.
Sur le papier c’est une belle idée. Et de fait, le talent du novateur metteur en scène russe fait florès sur le dernier opéra de Tchaïkovski, Iolanta, crée en 1892 dont le compositeur souhaitait qu’il fût suivi à l’époque du ballet Casse-Noisette. Tcherniakov a beaucoup de talent. Iolanta, opéra en un acte tiré d’une pièce danoise en bénéficie par une alchimie curieuse. Mis en livret par Modeste , le frère de Tchaïkovski, l’œuvre est si bien dirigée par Tcherniakov qu’on en viendrait presque à oublier le côté bigot de la fin pour tenter quelque rapprochement philosophique avec une Yvonne princesse de Bourgogne certes d’ un genre nouveau. La bordure noire qui entoure le décor cosy de Iolanta est une subtile métaphore de l’enfermement et de l’aveuglement (de l’héroïne comme de son roi de père). Iolanta est mis en scène avec sobriété et talent. Sonya Yoncheva semble ne plus avoir de problème relationnel avec le tumultueux metteur en scène et incarne une jeune aveugle formidablement émouvante. Et les autres chanteurs évoluent très librement dans ce décor avec une mention spéciale pour Alexander Stymbalyuk qui incarne un roi René charpenté. Puis arrive la transition tant attendue (on nous a raconté que Dmitri avait préparé un tour de passe-passe pour assurer la continuité du lyrique au ballet). A une heure de l’entracte la première chorégraphie , celle d’Arthur Pita, passe . Elle passe même plutôt bien . Comme une dynamique pièce d’un Forsythe transposé dans un décor de Cerisaie. Les choses se compliquent avec Edouard Lock et Sidi Larbi Cherkaoui. Sur des effets époustouflants (Tcherniakov est un génie des nouvelles technologies mises au service du théâtre) on assiste à un enfilage de clichés bien dans l’air du temps (explosions, attentats, déambulation de migrants etc.) autant de clins d’œil à l’actualité tragique de notre époque jusqu’à une arrivée de météorite face public (qui rappelle d’ailleurs un film récent). Autant de concessions à des préoccupations circonstanciées qui disent hélas que notre grand dramaturge n’est pas librettiste. Dommage. Mais là n’est pas le plus pénible. Les chorégraphes s’ingénient à d’étranges bizarreries contemporaines. Lock donne dans la régression statique avec des jouets ou persiste à affliger ses danseurs de prurits qui démangent et les entraînent dans une danse de Saint Guy pathétique.
La mise en scène très théâtrale qui fonctionnait bien sur Iolanta ne trouve plus de ressort dans la danse. Les « effets spéciaux » pourtant magnifiques manquent sur le ballet cruellement de sens et de nécessité . Il faut dire qu’il y a (excepté Pita) assez peu de chorégraphie dans ce spectacle où même la célèbre Valse des Fleurs semble dansée comme une danse de salon.