Gladys Brégeon nous crève le cœur lorsqu’elle nous parle de la mort de sa mère, elle nous dit avec un peu d’espace dans la page comment elle est tombée tout en bas dans la terre, et combien les derniers instants sont longs au pied de l’ultime couche. Elle égrène Sa bouche Ses dents Son palais Son front Ses paupières (p.13)
De quoi sommes-nous les témoins
De quoi sommes-nous les témoins (p.23)
Nous sommes témoins de la disparition irremplaçable, de Son corps (qui part) Vite. (p.25)
Gladys Brégeon nous dit que le temps … prépare à cette disparition et qu’on ne sait même plus si l’on peut encore être Assise à la grande table avec nos semblables, tellement on se laisse envahir par l’absence de mots :
On me prend la mère (p.33)
Mais il y a également dans ce livre la plus forte des souffrances que peut ressentir celle qui reste quand on lui dit dans l’un des derniers moments:
Au creux de l’oreille
Tu me dis doucement de m’approcher
Au creux de l’oreille
Tu me dis
Que je ne suis pas belle (p.37)
Alors il ne reste plus rien de l’enfance pulvérisée, il ne reste plus rien de la vie après la mort qu’elle nous laisse,
Nous être
Nous étrons
Nous sommes
Si faibles (p.38)
Dans ce livre de Gladys Brégeon, si retenu et faible et doux, du jour de la mort de sa mère le 17 février 09, et des souvenirs et des douleurs et de la grandeur de son corps et de son quotidien elle nous dit toute l’importance, elle connaît son odeur et ses rides et nous parle De son dos /Cette courbe /Sous laquelle tout la tuait (p.21).
Gladys Brégeon prend l’espace du livre en main pour nous montrer comment elle n’est plus là en se servant des interlignes comme d’un ascenseur pour monter au ciel :
Envole-toi
Envole-toi (p.25)
Et ce qui reste quand elle est partie c’est
Le corps
Qu’allons-nous faire sans le corps
Et avec
Qu’allons-nous faire du corps (p.41)
Elle
Toute petite dans sa grosse voiture (p.42)
Ce livre est l’héritage de Gladys Brégeon qui nous donne le corps de sa mère, et elle nous la livre dans l’entièreté de ce qu’il lui est possible de dire, traversée par le vide et l’intervalle des pages, qui la restituent sur le bord de l’abîme, chargée de tout ce qu’elle a dit, vécu, pensé, le portrait le plus cher possible de celle qui est rentrée dans le silence.
Je sais qu’un jour on oublie la voix (p.19)
Vianney Lacombe
Gladys Brégeon, J’ai connu le corps de ma mère, Editions Isabelle Sauvage, 48 p., 11 €.