Jeudi 10 mars à 19h, vernissage de l'exposition de l'excellent photographe de presse Pablo Piovano, de la rédaction de Página/12, au Palais de Glace (Palacio Nacional de las Artes, qui dépend du ministère national de la Culture) : El costo humano de los agrotóxicos (le coût humain des pesticides) (1).
Le journaliste a parcouru lui-même, dans sa voiture, des milliers de kilomètres à travers les zones agricoles de son pays, dans le Litoral (le nord-est, composé par les provinces de Entre-Ríos, Corrientes et Misiones), la province de Santa Fe (ravagée par la monoculture du soja transgénique Monsanto, hautement dépendante des pesticides) et celle de Córdoba. Il a photographié des paysans de ces régions : des gens visiblement malades, impotents, grabataires...
L'exposition, qui comprend environ 80 photographies, a été déjà montée en France et en Italie où le photographe a reçu diverses récompenses. L'Espagne, l'Allemagne et le Japon ont prévu de l'accueillir cette année et elle participera du festival des Rencontres d'Arles, à nouveau dans l'Hexagone.
L'exposition est gratuite, elle durera jusqu'au 10 avril 2016. Elle a pour commissaire une photographe italienne, qui vit à Rome, Annalisa D'Angelo. Les photos ont été retouchées par une artiste que Piovano trouve d'une grande finesse, Cristina Vatielli.
Página/12 donne la une de ses pages culturelles de ce matin à son photographe et publie une interview où l'artiste-journaliste milite contre le modèle majoritaire de l'agriculture en Argentine, pour un modèle d'agriculture bio à taille humaine dont il sait parfaitement que le nouveau Gouvernement national lui tourne délibérément le dos. Il rappelle que dans la Province de Buenos Aires, c'est un dirigeant de la filiale argentine de Monsanto qui est devenu ministre de l'agriculture. Au ministère national, le secrétariat d'Etat à l'agriculture familiale a d'ailleurs été tout simplement supprimé. Pourtant, de nombreux chercheurs en Argentine étudient les effets désastreux sur la santé de ce type d'agriculture mais ils sont davantage entendus et écoutés en Europe qu'en Amérique. Pour décrire cette situation effrayante, le journaliste reprend l'expression du Pape François qui a parlé un jour d'un ordre économique mondial qui se rend coupable d'un génocide au goutte à goutte (genocidio por goteo).
En Argentine, 13,4 millions de paysans sont soumis aux dangers sanitaires de ce modèle de production intensive (l'Argentine compte 40 millions d'habitants). Dans son interview, le photographe cite des chiffres terribles pour 2012 : "370 millions de litres de pesticides industriels épandus sur 21 millions d'hectares plantés en semences transgéniques, soit 60% de la superficie cultivée du pays." Il y dénonce aussi l'hostilité du gouvernement en place pour ce qu'il appelle le journalisme militant (2), dont un dirigeant agricole a dit qu'il était pire que le terrorisme d'Etat (nom donné en Argentine à la politique répressive de la Dictature militaire des années 70).
Au cours du vernissage, Pablo Piovano sera accompagné par l'un des paysans affectés par des problèmes de santé après avoir chargé des produits toxiques pendant des années à bord des avions épandeurs, monsieur Fabián Tomassi, désormais si malade qu'il ne peut presque plus se tenir debout. Et en attendant ce vernissage de jeudi, vous pouvez lire l'interview de Pablo Piovano, elle est fort utile pour notre prise de conscience sur ce que provoque à l'autre bout du monde notre besoin de soja et de maïs pour nos bétails d'élevage intensif.
Pour en savoir plus : lire l'article de Página/12 lire l'article de El Federal, qui donne aussi une vidéo de présentation de l'exposition se connecter sur la page Facebook du Palais de Glace.
(1) Vous remarquerez qu'en Argentine, les écologistes et les militants de la gauche contre l'industrie agraire parlent de produits agro-toxiques, ce qui est nettement plus clair. (2) Le Gouvernement Macri est en effet assez dur sur le journalisme militant mais il semble qu'il y ait deux niveaux de critique : l'un qui stigmatise l'absence de pluralisme et la manipulation des informations pour qu'elles soutiennent une cause (c'est le cas dans le ministère dirigé par Hernán Lombardi, autour des médias nationaux qui adoptent actuellement une ligne plus ouverte et cette exposition prouve que le ministère de la Culture travaille dans la même direction), l'autre qui stigmatise le journalisme d'investigation qui signale des faits qui dérangent les hommes au pouvoir. En France aussi et dans d'autres pays d'Europe, on connaît ce type d'attaque contre les journalistes qui font leur travail d'informer sans concession, que ce soit ce qui est dit de Mediapart ou de tel ou tel magazine télévisé.