Magazine Beaux Arts

François Kollar : quel objectif ?

Publié le 06 mars 2016 par Pantalaskas @chapeau_noir

Depuis quelques années, les photographes d'origine hongroise bénéficient d'un accueil privilégié au Jeu de Paume à Paris. Après André Kertész présenté en 2010 puis Eva Besnyö en 2012 et Kati Horna en 2014, c'est au tour de François Kollar (Senec, Slovaquie, 1904 (anciennement Szenc, Hongrie) - Créteil, 1979) de connaître une visibilité nouvelle et pour tout dire d'être redécouvert aujourd'hui. A vingt ans le jeune employé des chemins de fer dans son pays natal quitte la Hongrie pour venir vivre à Paris. Il devient alors tourneur sur métaux dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt avant d'accéder au métier de photographe professionnel à l'âge de vingt quatre ans après avoir acquis une expérience de chef de studio chez l'imprimeur parisien Draeger.

La France travaille

francois-kollar-la-france-travaille
Dans l'exposition du Jeu de Paume, c'est le thème consacré à La France travaille (1931-1934) qui ouvre une réflexion majeure : peut-on photographier le travail ? Cette partie centrale de l‘exposition réunit des tirages d‘époque, des diaporamas ainsi que des archives et des publications. La commande photographique ambitieuse faite par les éditions Horizons de France a donné naissance à un panorama assurément unique au plan documentaire sur le monde du travail dans les années 1930. François Kollar photographie tous les secteurs d'activité : l'industrie, l'agriculture, l'aviation, l'artisanat, les secteurs automobile, nautique et ferroviaire. Publiées sous la forme de quinze fascicules thématiques imprimés en héliogravure, ces documentsphotographiques illustrent des textes d'écrivains en vogue à l'époque (Paul Valéry, Pierre Hamp, Lucien Favre...) sur les métiers de l'industrie française.
Quel est donc le statut de cette photographie ? Photo industrielle, reportage, documentaire ? L'artiste photographe Jean-Louis Schoellkop expliquait, pour sa part, les difficultés rencontrées pour photographier le travail : "Moi j'ai essayé dans le temps, mais j'étais bien naïf de photographier le travail..... Seulement çà ne veut rien dire, parce qu'on arrive tout juste à photographier des gestes, mais le travail ce n'est pas un geste, c'est plutôt la répétition du geste et çà on y arrive pas. C'est sûr qu'on fixe quelque chose mais on ne peut photographier la répétition d'un geste toute la journée pendant huit heures et cinq jours par semaine, on ne peut pas photographier le bruit, les odeurs, on ne peut pas photographier un tas de choses".
francois-kollar-impassible-temoin-du-monde-ouvrier-des-annees-1930,M304645
Le risque est donc de produire des images qui considèrent l'usine comme un décor aseptisé dans lequel la condition de l'homme au travail reste incertaine. Artisan libre de ses propres choix, travailleur soumis à une mécanisation aliénante?
"Les Temps modernes" de Chaplin s'ouvrent sur cette sentence : "Les Temps modernes : une histoire d’industrie, d’entreprise individuelle – l’humanité en croisade à la poursuite du bonheur”.

Neutralité documentaire

Les photographies de François Kollar apparaissent bien éloignées du regard caustique du cinéaste. Elles ne rejoignent pas non plus l'éclairage des "gueules" filmées par Eisenstein dans "La Grève". Cette forme de neutralité documentaire caractéristique chez François Kollar peut difficilement être assimilée à une objectivité. Le monde que restitue le photographe ne connaît pas les tensions dues aux conditions de travail, conditions physiques ou sociales. L'univers du travail, du paysan dans son champ à la chaine industrielle, semble appréhendé avec la même distance quelles que soient les contraintes de chacune des tâches. Kollar est loin d'un Cartier-Bresson pour qui « Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur » .

kollar
Pour autant, l'ampleur de l'investigation accomplie en France laisse une somme documentaire exceptionnelle dont le mérite revient au photographe mais également à l'éditeur qui a initié le projet. Elle témoigne d'une France des années trente dans laquelle le monde paysan coexiste encore face à une société industrielle en plein essor. Les photographies de François Kollar, avec leur absence de point de vue assumée, révèlent cependant la qualité d'un regard sur ces lieux de production, clichés impeccables dans lesquels l'homme semble occuper parfois une place quelque peu irréelle.

Photos François Kollar

François Kollar Un ouvrier du regard Du 09 février au 22 mai 2016
Jeu de Paume
Paris

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pantalaskas 3071 partages Voir son profil
Voir son blog