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ZOOTOPIE, une analyse de Pénélope Zang

Par Gangoueus @lareus
ZOOTOPIE, une analyse de Pénélope Zang
Etonnamment, la dernière animation de Disney, Zootopie, nous entraîne dans un rythme (lapinesque) effréné, et dans une prise de conscience des problèmes contemporains, notamment sur le vivre-ensemble, et les conflits raciaux. Ce film est loin de s’adresser uniquement aux tous petits, et Disney semble bien résolu à forcer les parents, à regarder aux tréfonds d’eux-mêmes (Lire la suite...)
L’animation Zootopie sortie dans les salles ce mois de février (le 17 exactement), réalisée par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush (sur un scénario de ce dernier) est à plusieurs titres intéressante. Intéressante déjà car elle peut être vue et interprétée selon deux niveaux : celui des enfants, (juste des méchants qui combattent des gentils) ; et un autre niveau plus adulte, selon une guerre sociale. Ce dernier niveau est lui-même lu dans des multiples cas enchâssés, qui rendent le film très complexe et loin d’être neutre. Voyons à peu près les divers points relevés dans ladite animation.Personnages : dénonciation des rapports de force, et de classes :Les personnages dans Zootopie sont, au tout début du film, conscients de leur nature. Ils maintiennent le rang de chaque ‘groupe’ ou ‘espèce’, et bien que vivant avec des prédateurs, perpétuent l’espèce ou la chaine de la vie. Ainsi, les lapins (espèce à laquelle appartient l’héroïne Judy Hopps), cultivent des carottes et se reproduisent à l’infini. Lorsque durant une pièce théâtrale de son école, Judy évoque la possibilité de devenir ‘policière’ ce n’est pas seulement un prédateur ‘renard’ qui l’en dissuade, mais aussi ses propres parents. Ceux-ci voulant son bien, vont tenter de limiter ses ambitions et l’encourager à rester ce qu’elle est (exaltation de la perception des autres, en l’occurrence celle des prédateurs, assimilée par les proies) : un mignon lapin.Judy est entêtée, passionnée et intelligente, et elle ne renonce pas avant d’avoir atteint son but. Elle va alors continuer de travailler dur, et sera finalement major de sa promotion et admise à intégrer les nouvelles unités de police, qui devront parfaire leur formation dans la ville de Zootopie, ville où tout est possible, et où chaque espèce peut vivre ses rêves, et où  comme le dit Gazelle encore une fois « le rêve entre communautés est possible [1]».
On ne peut ne pas voir ici une image des immigrés de divers pays, principalement issus du Tiers Monde ; qui quittent leurs pays afin de pouvoir réussir. Zootopie représente les  pays industrialisés où les personnes du Tiers monde ou du Quart Monde, viennent pour travailler, étudier, où simplement croire en un « monde meilleur ».ZOOTOPIE, une analyse de Pénélope ZangLa ville de Zootopie dresse donc le tableau égal (à priori) de petits, moyens et grands animaux, vivant ensemble, dans un environnement au faîte de la technologie, gommant à priori les inégalités. Sauf que cette ville masque la réalité de stéréotypes qui perdurent, comme voir les lapins comme « mignons » et « crétins », et donc « incapables de défendre une cité », ou bien encore voir les renards comme « tous malins » et « rusés », et ne pas leur faire confiance, non plus, s’ils deviennent des officiers de police. Le film inverse ou détourne les stéréotypes, en choisissant de voir comme ‘parrain de la mafia’ une souris, protégée par des ours polaires. Ainsi, le film montre qu’à l’intérieur des barrières entre espèces, certaines ‘petites bêtes’ (oserai-je dire des Noirs), parviennent à déjouer un système régi par des prédateurs, et à avoir un semblant de pouvoir (même si ici ce dernier est  négatif, car faisant référence à la réussite informelle, celle de la mafia).Le maire de la ville de Zootopie, n’est autre qu’un lion imposant, qui semble user de sa force pour ridiculiser son assistante, une dame moutonne, à l’air fragile. Celle-ci dira d’ailleurs : « je crois qu’il m’a mise à ce poste afin d’obtenir le vote des moutons ». Moutons, qui dans le langage familier, désigne des « personnes sans intelligence, ni pouvoir de décision », on connait l’histoire des « moutons de Panurge ».Cette phrase de madame Moutonne  rappelle le référent américain ; où les inégalités, les causes des minorités ethniques et sexuelles, sont souvent mises ‘sur le tapis’ afin d’être utilisées comme des points de campagne, et tenter d’obtenir des votes de celles-ci.Utilisation des animaux comme inversion de l’ordre social humain : les prédateurs et les  proies :L’ordre social de Zootopie est une forme « animalisée » de notre société contemporaine, et des rapports de forces exercés entre les dominants sur les dominés. Les conflits sociétaux sont imagés, représentés ici afin de dénoncer les réalités du racisme, des stéréotypes, de la misogynie,  des inégalités professionnelles, des corruptions en tous genres. La réalité animalière  renvoie à notre propre vécu, d’une façon assez brutale, car le film dit les choses, mais prétend les atténuer en les faisant dire par des animaux. Les représentations animalières   ne sont pas du tout anodines, comme le fait de choisir une belle gazelle blonde aux hanches larges (Gazelle est doublée par Shakira, la Colombienne, mais pourrait tout aussi bien être Beyonce) afin d’être l’image d’une chanteuse  interplanétaire, qui rappelle un référent musical connu. Chaque animal campe un rôle bien à lui, qui tend à se rapprocher des images que l’on a de certaines communautés dans la vie. Le lapin que représente Judy, est dit ‘mignon’, et ne peut même pas réclamer justice face à son supérieur, un bison (dit Buffalo débile). Ce dernier joue de la faiblesse physique de celle-ci afin d’annihiler ses convictions, de la décourager. Le renard, Nick Wilde, va finalement sortir cette phrase face à cette situation d’injustice: « ne laisse jamais les autres voir qu’ils t’ont blessée ». En effet, l’âme blessée n’est-elle pas souvent celle des Noirs ? Ceux-ci, sans cesse nier dans leur ‘humanité’, sont souvent contraints de se limiter (professionnellement, socialement), et ne laissent que peu souvent libre court à des contestations légales[2]. Ils vont fulminer, mais ne réagiront pas souvent face à une injustice patronale. La phrase de  Nick Wilde va également dans le sens des ouvrages sur la cause noire, dont le livre de W.E.B. Dubois sur les âmes noires (Les Ames du peuple noir), et le livre de Fanon, Peau noire, masques blancs. Les Noirs ont intégré qu’ils étaient inférieurs, du fait de plusieurs années de mutilation et de mépris de leur identité. Ainsi, Judy,  se sent incapable de parler face à son chef, (du moins dans cette scène), et il lui faut le salut d’un autre prédateur (le renard) pour qu’elle se tire d’affaires.Le racisme (introduit par le terme ‘mignon’) dénoncé :La loi américaine interdit à toute autre personne non noire de prononcer le mot ‘nigger’. C’est le ‘n’ word. Les lapins, également, fustigent dans l’animation, le mot ‘mignon’, car étant ‘raciste’. Ce mot tendrait à réaffirmer une puissance du prédateur et à nier la nature des  proies. Le mot devient une arme symbolique, qui a le pouvoir de définir. C’est la portée idéologique de la signification contenue dans le discours. En mettant cette phrase dans le scénario, les scénaristes de Zootopie (Jared Bush à la barre), savaient qu’ils citaient là une composante de la communauté afro-américaine. En associant aux lapins, le monde de la limitation professionnelle, et de la petitesse (taille), les scénaristes ont voulu mettre l’accent sur la manière dont une communauté était définie. Le stigmate de la taille[3], de la fragilité (continuité historique d’une espèce) sont autant de choses qui font dire que la communauté noire est représentée. On peut aussi dire que les moutons désignent aussi les noirs. Lorsque le maire Lion touche la laine de son assistante madame Moutonne (habilement coiffée), il déclare : « Oh, c’est si doux, les moutons ne nous laissent jamais toucher leur laine ». Cette situation est présente dans l’expérience de nombreux noirs vivant hors d’Afrique.
Les rapports de genres :   Lorsque le film débute, la jeune Judy est prise à partie par son supérieur : monsieur Bison. Elle n’aura de cesse  d’essayer de persuader ce dernier sur la légitimité de sa présence, face à ce prédateur qui aura déjà son idée toute faite. A plusieurs reprises, monsieur Bison fait savoir à la jeune fille (ou femme, car Judy a 24 ans) qu’elle s’est fourvoyée et que son diplôme ne voulait pas dire qu’elle serait intégrée ‘dans les faits’. Le sexisme est associé au racisme. Ici, on a l’image de la « double Jeopardy », qu’ont dénoncé les féministes afro-américaines, en évoquant une double domination, celle exercée par les hommes noirs sur elles dans les ménages ou ailleurs (la figure du frère, du Pasteur), et la communauté blanche raciste. Ces femmes se battaient ainsi sur un front ‘en plus’ que celui que rencontraient les hommes afro-américains (si on omet de relever le problème de ‘non employment’ de ces derniers). Toutefois, il est à noter que le film montre clairement ce fait, que l’on peut aussi relever dans les rapports de domination (patriarcale) existant entre le maire Lion et son assistante moutonne.
La dénonciation d’un racisme à l’envers :   Le racisme à l’envers, c’est lorsque les codes et les pratiques de rejet et de déshumanisation (ou de diminution de la valeur des autres) par une communauté a sur b, sont réutilisés par b sur a. Ce qui veut dire que dans Zootopie, les personnages qui sont  les proies, deviennent à leur tour des prédateurs. Tout d’abord, après que Judy ait découvert le lieu de la détention de monsieur Loutre, elle va aussi découvrir que certains animaux (et uniquement des prédateurs)  seraient redevenus des animaux sauvages. Elle expliquera ce fait en évoquant un eugénisme pour le moins douteux, et même raciste : «  les prédateurs  sont génétiquement prédisposés à retrouver des instincts naturels sauvages, donc de tueurs ». Cette déclaration de Judy est évidemment fondamentalement raciste, car elle s’appuie sur la caducité de l’idée de race. Ce n’est qu’une autre manière de tirer profit de la supériorité des espèces non prédatrices sur les prédatrices. Judy inverse ainsi la réalité du conflit racial initial. Cette déclaration (dite en pleine conférence de presse) va évidemment attirer une vague de suspicion dans la population, et mettre Zootopie sens dessus-dessous. Puis on apprendra que l’ex assistante au maire Lion (ce dernier a été mis en prison dans l’affaire des Loups hurleurs, compris par les protagonistes comme une affaire de prédateurs dangereux/allez voir le film), et qui est devenue maire, s’avère ensuite être l’instigatrice du complot tendant à jeter le blâme sur les prédateurs (les loups hurleurs sont en fin de compte des fleurs qui ont la faculté de rendre les animaux évolués en animaux sauvages), afin de mettre les  proies au pouvoir. On retrouve ici la critique la plus cinglante du film : « n’est pas prédateur qui l’on croit ». Les sois-disantes petites proies se révèlent en fait plus sournoises que les prédateurs, usant des failles de l’histoire afin de faire condamner les seconds. Cette critique ultime nous permet de nous demander si cela a un lien avec les vagues d’artistes et d’hommes d’affaires noirs qui, prenant le monde des médias et de la finance à bras le corps semblent avoir le vent en poupe, et  souvent, sans mettre les  limites. Les proies seraient-elles devenues les prédateurs ? Ou faut-il simplement y lire un rappel de conscientisation, sur le fait que nul n’est meilleur et que le mal est en chacun ?
Parallélisme avec la société actuelle : Une scène mythique du film, celle de la préfecture, gérée entièrement par…des paresseux permet de lire et de voir un parallélisme avec les sociétés modernes. Le film se sert dans cette séquence de la forme passive des bêtes afin de critiquer une administration qui brille surtout par une mollesse légendaire. On ne peut donc ne pas ignorer ici le désir des réalisateurs et du scénariste, d’avoir voulu ici faire une critique sociétale.Zootopie est donc un film d’animation que je vous conseille vivement d’aller voir. Il est une manière amusante (et assez embarrassante pour la doctorante que je suis) de voir les rapports sociaux et la portée idéologique des médias ‘blancs’ véhiculer un discours, qui, comme toujours sera consommé ‘béatement’ par les mêmes. Le droit à la parole que l’on laisse uniquement aux grands créateurs blancs est stupéfiant. Leur histoire, bien que se voulant ‘juste’ et ‘équilibrée’ porte quand même en soi une forte portée idéologique, car étant un produit de grande consommation, fait pour un public que l’on choisit d’éduquer, de convaincre, avec ses armes. Soit, la lecture dominante de Zootopie sera toujours quelque peu suspicieuse car ne nous donnant pas de voir un autre Zootopie fait en Afrique, par des Africains…Surcharge sémiotique qui trompe ou alerte :Je me suis sans doute trop avancée dans ma lecture du film et sans doute lirez-vous autre chose. Ma conviction est que ce film par une surcharge de signes, essaie de ‘brouiller les pistes’, et de ce fait, peut être lu de différentes manières. C’est ce qui fait la force des films Disney, qui nous prennent souvent pour des dupes, et en même temps qu’ils prétendent éduquer nos enfants, nous envoient de bons coups dans le derrière !Un article de Pénélope Zang Mba

[1] Je paraphrase ici toutes les prises de paroles. [2] Je vais dans l’extrême, j’avoue. Je laisse la marche de Selma, et les Droits civiques, et m’intéresse plutôt aux Noirs de tous les jours, sur leurs lieux de travail. [3] En termes de capacité à impacter son environnement.

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