Il était si tôt ce matin-là que rien ne bougeait encore, sur la pointe des pieds je les ai laissés pour m'enfuir un peu, oh quelques jours, quelques heures, retourner sur la terre d'avant, avant d'être grande, avant d'imaginer ce que je ferais de ma vie, de mes mains et de mon coeur.
Au-dessus des nuages j'oublie la course du monde, m'émerveille du blanc cotonneux et du ciel qui s'enflamme doucement, découpant les Alpes sur fond d'or. Je savoure ma chance d'être là, entre ce spectacle fabuleux du jour qui se lève et m'enchante et mes compagnes de voyage.
Les brumes s'estompent peu à peu à mesure que nous nous rapprochons du sol. En bas, la campagne semble endormie, figée. Rien ne laisse présager du bourdonnement qui doit agiter les maisonnées: une tartine avalée, une moustache de chocolat essuyée d'un revers de menotte, vite les chaussures, le manteau, n'oublie pas ton écharpe,il fait froid ce matin, où sont mes gants maman, travaille bien à l'école, je vais être en retard.
Quelques centaines de mètres plus haut le temps s'est arrêté entre deux villes, et comme toujours la magie de regarder en bas, les courbes et les lignes droites, les pleins et les déliés, je suis une enfant le nez collé à la fenêtre à chaque fois, les oreilles vrillées par le bruit des hélices.
Je scrute la campagne, suis les routes du regard, mais rien ne bouge, sommes-nous trop tôt encore, ou trop loin, trop haut? Je pense aux miens, à la vie qui s'ébroue sans moi, je respire et je souris. Qu'il est bon parfois de tout oublier, laisser place à l'imprévu. Contrairement aux apparences, le temps ne s'est pas arrêté, la vie continue bien sans moi, dans ce monde parallèle, où je les trouverai changés et grandis en rentrant, oui, après quatre petits jours de litres de thé et d'amitié.