Un film de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde (1992 - Belgique) avec les mêmes - en N.B.
Sordide, glauque, dérangeant.
L'histoire : Benoît est un jeune homme idéal, poli, courtois ; il adore sa mère, épicière, et ses grands-parents. Mais il tue. Sans cesse, tous les jours. Sans aucune logique, sans cible ; tout y passe ; des hommes, des femmes, des enfants, des vieux, des jeunes, des pauvres, des riches... Il est parfaitement aguerri dans l'art de faire disparaître les corps et de dérober les économies de ses victimes. Et c'est ce type monstrueux qu'une petite équipe filme au quotidien, comme pour un documentaire ou une télé-réalité. Benoît s'adresse à la caméra, explique, rit, plaisante.
Mon avis : Les Belges font décidément un cinéma original et culotté. Ce film ne ressemble à rien. Un poil de Orange mécanique ou de Henry, portrait of a serial killer, peut-être. Mais sans aucune justification. Le type tue, les cadavres s'amoncellent, tout est filmé comme dans un found footage ou un reportage télé. Et on n'a aucune explication. Alors que Orange mécanique analyse et dénonce la violence, que Henry nous raconte la vie d'un homme, et l'enchaînement de circonstances, ici c'est purement gratuit, et d'autant plus surprenant que notre homme, dans la vie normale, est un charmant garçon, très cultivé, bien élevé, qui s'interroge sur tout, et qui aime sa maman.
Certaines scènes sont insoutenables, alors même qu'on se prend à rire pour d'autres situations et certaines répliques, franchement bien trouvées. La scène du "petit Gregory" (nom d'un cocktail) est du plus parfait mauvais goût. C'est surréaliste, grotesque, dégoûtant, mais c'est bien quand même ! Un film qui nous rend psycho... Alors c'est quoi le message ? Comment peut-on analyser cette oeuvre ? Poelvoorde semble être un homme sensible et intelligent, trash et provocateur. Mais que veut-il provoquer chez nous ici, au-delà du profond dégoût ? Il y a forcément autre chose.
Il semble que l'un des mobiles du tueur soit l'argent ; il aime attaquer les facteurs pour récupérer les mandats, et aussi les coordonnées de petits vieux, ses préférés, car ils ont toujours plein d'argent caché dans l'appartement. Il ne travaille pas et on suppose donc qu'il vit de ses larcins. Mais pourquoi sa mère ne s'inquiète-t-elle pas de le voir au chômage ? Peut-être lui raconte-t-il des carabistouilles, ou bien peut-être ne veut-elle pas voir. Mais comment en est-il arrivé là ? A un moment il dit à un de ses camarades, qui donne des coups de pieds à un cadavre qui, alors qu'il était encore vivant, a abattu un membre de l'équipe : "T'acharne pas ! C'est pas bien la vengeance. C'est comme ça qu'on commence. Et après on n'arrête plus..." Serait-ce là la clé du film ? D'autant qu'à partir de cette scène, les accompagnateurs de Benoît se mettent à violer et tuer comme lui, en riant.
Peut-être n'est-il pas besoin d'analyser...
Les auteurs disent avoir voulu faire une parodie de l'émission Strip-tease, qui dissèque des faits divers. Et ils y vont fort pour dénoncer le voyeurisme mais aussi la complaisance d'un certain type de journalisme. Complaisance et manipulation d'images.
Mais le film est trop dur pour s'arrêter à ça. Ou pas assez explicite dans la parodie. Ca me choque. C'est bon, c'est original, mais ça me choque.
A noter que les trois scénarises, réalisateurs sont aussi les acteurs principaux du film, dans lequel la mère et les grands-parents de Poelvoorde jouent... leurs propres rôles. Une super mise en abyme, qui en rajoute au côté sacrément dérangeant, donc !
Le monde a cette réflexion : "A force de vouloir être partout, à la fois dans le film et à côté (…), ils finissent par être nulle part. Dans cette absence envahissante, on pressent quelque chose d'immonde" qui me parle. Comme si, eux non plus, n'avaient pas tout compris et restaient sur un point d'interrogation obscène. Idem pour Télérama " Mais comment supporter cette longue série de meurtres, ce viol immonde, ces plaisanteries obscènes, même si elles prétendent dénoncer le meurtre, le viol et l'obscénité ?" Les critiques n'ont pas été vraiment emballés, les spectateurs davantage. Amateurs de chair fraîche ? Génération nourrie à l'hémoglobine ? Heureusement certains précisent qu'ils adorent parce que ce n'est pas politiquement correct. Et ils ont raison, c'est clair qu'on n'est ni chez les bisounours, ni chez les béni-oui-oui.
Comment puis-je dire que j'ai aimé le film ? Malgré son ignominie pour le fond, et son côté répétitif pour la forme.
Un des plus grands mystères du cinéma. Pour moi. A ce jour.