Jeudi 3 mars 2016 1 commentaire
Je suis très fier de vous présenter cette nouvelle sérigraphie consacrée à Serge et Jane. Elle est maintenant disponible dans le artshop, imprimée sur papier Fedrigoni Saville Row Dark Gray 300 gr au format 70 x 100 cm. Edition limitée de 150 ex, signée et numérotée par Zig. Ce tirage en sérigraphie d'art utilise 5 couleurs d'encres mates ainsi qu'une teinte brillante visible à la lumière, vous ne serez pas déçu ! L'histoire de cette affiche est une cristallisation d'actes manqués, elle aurait pu ne jamais exister. Comme quoi, il y a parfois de bonnes nouvelles sous les étoiles. Même si je n'ai pas connu Serge autrefois, c'est mon travail le plus passionnant, ma nostalgie camarade, mon Gainsbourg à moi.
Il m'a fallu tout reprendre à rebours pour comprendre ce que Gainsbourg nous a laissé et rendre hommage à l'artiste disparu le 2 mars 1991. Quand j'assistais aux outrances d'un Gainsbarre provocateur sur la télévision de 1986, pour le môme de 13 ans que j'étais à ce moment, c'était une tête de chou décharnée et barrée, clopin clopant... Comme la caricature gainsbarienne façon Mr Hide justement croquée par Joann Sfar dans le film Gainsbourg Héroique. Derrière le masque, il a fallu du temps pour redécouvrir l'artiste majeur...
Début 2013, je prend contact avec Maurice Renoma, j'ai un projet : je veux créer une sérigraphie hommage en travaillant à partir d'une photo mythique de Serge et Jane. Sur cette photo du couple enlacé (probablement datée de 1968), on reconnait le fameux costume à rayures que la célèbre marque Renoma - couturier avant-gardiste fan des dandys sixties - créait sur mesure pour lui. Définitivement l'apogée du style Gainsbourg et sa période musicale la plus faste et inventive dans les années soixante et soixante-dix. Juste avant le reggae, jeans et chaussures Repetto blanches aux pieds, mal rasé, mais ça c'est une autre histoire... Intrigué par cette photo sublime, j'écris à Maurice Renoma qui m'encourage alors pour continuer mon projet : " Jane Birkin qui est très open pour tout acte artistique, serait probablement intéressée par votre travail. ". Hélas la photo recherchée n'est pas une publicité Renoma comme tant d'autres réalisées par le photographe David Bailey. Il me dirige alors vers Tony Franck, pas lui non plus... Fausse piste, retour à la case départ.
Avril 2013, je demande de l'aide à Gilles Verlant (biographe et ami de Gainsbourg) pour rechercher l'auteur de cette fameuse photo. Il avait - sans connaître mon nom - repéré certains de mes travaux : " du très beau travail " me dira-t-il. Porté par son généreux soutien et son carnet d'adresses de galeries photo en Belgique et à Londres... Á un train d'enfer, je me lance dans une recherche qui n'aboutira jamais... Pour cause, personne ne retrouvera l'auteur de cette photographie ni trace de sa première publication. En septembre de cette même année, Gilles tombe dans son escalier et décède brutalement. Ce drame met un terme définitif à mes recherches, point-barre.
Serge Gainsbourg dans sa maison rue de Verneuil, photographié par Patrick Bertrand.
En 2015, je ressors des carton ce vieux projet en travaillant sur une soixantaine d'esquisses et compositions typographiques pour former mon propre abécédaire gainsbourrien, son étonnante modernité, son langage. J'exhume ma vieille intégrale en CD et vinyle, j'appuie sur le starter et je me met à tout réécouter depuis le premier disque de 1958, en immersion totale. Quel auteur, quelle musique ! Décomplexé par l'audace de Boris Vian, Gainsbourg trousse ses chansons bastringues de jeux de mot, de gimmicks pianistique et organiques, d'arrangements cabaret jazzy qui installent son style sans pudeur (du moins intellectuellement). En déséquilibre constant, enfermé dans son registre de chanteur intello côté rive gauche propulsé par Juliette Greco... il commence enfin à s'encanailler le Serge ! Le jazz est toujours là mais le style se sophistique avec des rythmes afro-cubains, un zest de musique classique, piano Fender Rhodes, quelques riffs de guitares électriques sous la Fender bass, et l'utilisation de paroles qui font swinguer le british et le français. " Voilà c'est commercial mais pas infâmant, je crois. Moi évidemment je préfère écrire des choses plus grinçantes et plus agressives. Mais le rock, et le twist, je suis pour. C'est ainsi que l'on amène le grand public vers le véritable jazz " dira Gainsbourg en 1963.
Pour rattraper le temps perdu, chaque jour, je dessine sur le papier quelques opus en typo : Black Trombone, Requiem pour un twister, New-York USA, véritables petits bijoux mélodiques et rythmiques, sans oublier Intoxicated man, justement repris par Mick Harvey (guitariste australien de Nick Cave et Gainsbourophile converti sur le tard) sur un très bel album hommage sorti en 1994. Forcément, vu par un anglophone, Gainsbourg est notre Beatles à nous... Alors, au fur et à mesure de l'écoute, le " Gainsbourg classique " révèle sa lumière comme une photo dans le bain du révélateur. Vêtu de volutes noires et argent, pareil aux murs de son hôtel particulier 5 bis rue de Verneuil à Paris... Comme des graffitis, je noircis la page de titres de chansons : New York USA, Chatterton, Sous le soleil exactement, Bonnie & Clide, Initial B.B., Requiem pour un con... Pas démodé pour un sou, le Gainsbourg ! Serge a quarante ans, il est enfin beau. J'écoule la Ballade de Mélodie Nelson en boucle sur la platine vinyle, bouclé sur le fauteuil d'une Rolls Royce imaginaire... Silver Ghost. Dans un nuage d'encre de chine, la Venus d'argent s'avance enfin, c'est Jane Birkin.
Jane Birkin et Serge Gainsbourg photographiés par Benjamin Auger en 1971
" Signalement yeux bleus, cheveux châtain, Jane B., anglaise... ". Egérie exquise et gracile, une fragilité dingue dans la voix, Jane détonne et nous touche au plus juste. Juste là, une belle dans la peau, " lentement, j'embrasse Mélody... " Jane aime Serge et Serge aime Birkin, surtout en mode " râle mineur ", pour faire tourner l'érotisme chic de Je t'aime moi non plus, en 1968. Sur la sérigraphie finale, la déclaration s'inscrit comme un slogan sous l'étreinte de ces deux inséparables. Fresque monochrome, ton sur ton sur la feuille gris anthracite, je termine l'impression du visuel en janvier 2016. Un bout d'histoire personnelle est enfin couché sur le papier, une vraie rencontre virtuelle avec ce dandy cynique et drôle au summum de son art. J'ai pris mon temps, j'ai pris mon pied ! Cela fait 25 ans que Gainsbourg et son Gainsborough ont pris leur dernier ferry-boat... Comment lui dire adieu ? Il aurait 88 ans aujourd'hui. Je crois que Gilles aurait aimé.
Merci à House-Martin pour les photographies dans leur jolie maison d'hôte en Bretagne. Article et photos par Stéphane Constant © 2016 Dezzig