En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées, et des bien pourries en plus ! Par exemple, celle qui consiste à croire que les fleurons de l’industrie nationale appartiendraient à la culture et au patrimoine français, qu’il faudrait donc tout faire pour les chérir et les favoriser, et qu’en vertu de quoi, l’État devrait absolument se mêler de leurs affaires.
Nombreuses sont, en effet, ces sociétés industrielles qui ont grossi au point de devenir internationales à la faveur de rapprochements opérés dans le giron de l’État français ou via son patronage actif et politiquement calculé. Elles se retrouvent alors, quasiment du jour au lendemain, propulsées avec force cocoricos comme les champions du pays qu’on ira parader dès qu’on le pourra sur différents sujets, aussi bien d’ailleurs en politique intérieure qu’extérieure.
Comment oublier, par exemple, les rocambolesques aventures de Bull, fleuron français de l’informatique qui, pourtant promis à un brillant avenir à la fin des années 70, aura su, grâce à sa subtile nationalisation de 1982, se retrouver en situation catastrophique dans les années 90 (au point de coûter finalement plus cher au contribuable français que la Guerre du Golfe) ?
Comment oublier l’affaire du Crédit Lyonnais (1993) qui après une magnifique nationalisation (en 1982) s’est finalement écrasé avec une facture colossale de 14,7 milliards d’euros au total pour le contribuable ?
Comment passer sous silence l’exemple frappant qu’a offert, en son temps, le constructeur Heuliez et sa Mia électrique, superbement aidés par une politicienne en mal de grandes réalisations techniques, et qui aura achevé une carrière industrielle pourtant remarquable par une splendide faillite pour le contribuable ?
Plus récemment, il serait dommage de ne pas citer le ratage tout à fait symptomatique de la plate-forme MO3T, bricolage étatique de 2012 destiné à contrer Amazon, Apple et d’autres sur le marché du livre numérique, qui avait embarqué Orange, SFR, Bouygues et des éditeurs et libraires français dans ce qui allait s’avérer être un gouffre sans débouché, pour une facture de plusieurs millions d’euros (du contribuable).
Mais tout ceci est de la petite bière à côté de ce qu’on voit se développer, doucement, dans l’actualité.
Parce que s’il y a bien un domaine où l’État veut absolument s’investir, où les politiciens auront toujours un mot à dire, une action à mener, un levier à tripoter ou un petit bouton rigolo à chipoter, c’est bien celui de l’énergie.
Or, si l’on observe d’assez beaux plantages des politiciens dans l’informatique, dans le commerce, dans l’automobile ou tant d’autres domaines, il serait franchement étonnant qu’on n’observe pas la moindre déroute dans l’énergie aussi.
Ça tombe bien. Actuellement, tous les ingrédients sont réunis : des fleurons nationaux, des décisions purement politiques, des enjeux mondiaux colossaux, de l’exposition médiatique, et, à la fin, des factures salées et, probablement, des faillites retentissantes.
Ici, je veux bien sûr parler d’Areva, et, plus tristement encore, d’EDF.
Pour Areva, l’affaire est entendue, pour ainsi dire déjà pliée. Le montant total de la facture reste encore à déterminer, mais nul doute qu’elle atteindra plusieurs milliards d’euros. Les derniers rebondissement en disent long sur l’étendue de la catastrophe : le groupe spécialisé dans l’industrie nucléaire a été obligé (par l’État) de reporter la publication de ses comptes 2015, dévoilant des pertes pour l’année écoulée bien plus lourdes que prévues.
En fait, Areva doit affronter une passe économiquement très douloureuse devant des dépréciations d’actif massives liées à l’effondrement des cours de l’uranium qui n’a pas arrêté de chuter depuis la catastrophe de Fukushima, et à ses déboires sur le développement des nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR, dont la finalisation et l’exploitation sont régulièrement repoussées, au point de mettre les finances de l’entreprise en position périlleuse.
Les explications de Lauvergeon n’empêchent rien : l’entreprise est maintenant en plein naufrage et seul le contribuable semble capable de rattraper la sauce. À quel prix ?
Du côté d’EDF, la situation ne semble guère plus brillante.
La très belle discrétion de ses derniers appels au secours, l’aspect particulièrement feutré des cris de détresse et la façon dont ils sont relatés dans la presse donnent une fausse image de petit souci passager mineur à ce qui, après analyse, pourrait bien être une crise d’ampleur biblique tant il faut prendre en compte la taille du champion national de l’énergie.
Plus précisément, certains des administrateurs du groupe estiment que les perspectives de l’électricien public ne cessent de se dégrader, au point de devoir recourir aux largesses financières de son premier actionnaire, qui est – pour rappel – l’État français (donc le contribuable français). Au sein d’EDF, on se demande ainsi comment on va continuer à faire vivre EDF avec un prix du mégawattheure autour de 30 euros.
C’est extrêmement bon signe, d’autant qu’un bonheur ne fait jamais du pédalo seul : EDF est, bien évidemment, cul et chemise avec Areva, dont les amusantes péripéties économiques ont aussi tendance à le mettre dans l’embarras : si le groupe nucléaire ne respecte pas son engagement de prendre 10% du projet Hinkley Point (une tranche supplémentaire, en EPR, devant y être construite), EDF ne pourra pas assumer seul ces coûts et devra modifier très substantiellement son « business model »… Autrement dit, commencer à inscrire des pertes, qui pourraient rapidement le mettre en difficulté.
Et le terme de « difficultés » est fort humblement choisi, puisque selon Le Figaro, l’électricien aurait actuellement besoin de 5 milliards d’euros de capital. Une paille, pour un État qui roule sur l’or et les excédents budgétaires. Les raisons sont multiples, mais il semble délicat d’occulter le rôle des stratégies particulièrement brouillonnes qui furent imposées à l’opérateur public, entre un maintien du nucléaire et un retrait progressif, un repositionnement vers les énergies renouvelables alors que le marché montrait des signes de faiblesse et est maintenant en train de s’effondrer avec des prix du pétrole au plancher, et une régulation des tarifs sujette aux aléas politiques dans lesquels, du reste, Ségolène Royal n’aura pas eu un rôle mineur.
Eh oui, difficile d’oublier le rôle des politiciens dans ces plantages : comme un fait exprès, pour chaque ratage industriel majeur, on trouve l’un ou l’autre grand commis de l’État français, ministre ou secrétaire d’État volontariste, souvent énarque, parfois cabinétard, généralement imbu de lui-même, très bien introduit et ayant toujours fait preuve d’une maîtrise parfaite de son réseau d’accointances bien avant toute réelle compétence de gestion d’entreprise.
Mélange du capitalisme de connivence et d’un colbertisme totalement débridé voire en roue libre, le capitalisme à la française démontre une fois de plus que mêler politique et affaires conduit à la catastrophe de façon assez systématique.
De façon intéressante, malgré l’amoncellement des catastrophes et des faillites, encore trop de Français soutiennent encore, mordicus, que l’État doit absolument mettre ses pattes graisseuses dans les domaines industriels. La facture finale n’est sans doute pas assez élevée, ni en termes financiers, ni en chômage et misère humaine directement déclenchés par ces fautes dramatiques.
Comment s’étonner ensuite que ces mêmes Français réclament aussi une intervention de l’État dans leur vie de tous les jours ? Et comment s’étonner de ce qu’ils en obtiendront ? Comment voulez-vous que ça se termine bien ?