Julian Barnes n’est pas seulement un remarquable écrivain,
il est aussi un fin lecteur fin capable de nous conseiller des ouvrages vers
lesquels nous ne serions pas allés sans y être incités. Dix-huit articles
fouillés et une nouvelle, moins incongrue qu’il y paraît, forment Par la fenêtre. Un livre où Julian
Barnes réaffirme une conviction forgée par sa double expérience de lecteur et
de romancier : « l’œuvre de
fiction, plus que tout autre mode d’expression écrite, explique et amplifie la
vie. » Il termine son bref avant-propos par une phrase familière, au
moins par sa signification, à ceux qui fréquentent de belles œuvres : « La meilleure fiction fournit rarement
des réponses ; mais elle formule exceptionnellement bien les
questions. »
En 2003, il écrivait dans le New Yorker un article consacré à un écrivain français revenu ces
dernières semaines en force dans l’actualité : « Michel Houellebecq
et le péché de désespoir » suscite une légitime curiosité. Il est consacré
à Plateforme mais revient sur le
roman précédent, Les particules
élémentaires, paru cinq ans plus tôt. Julian Barnes était membre du jury du
prix Novembre qui allait couronner, après des débats houleux, un titre écarté
par le Goncourt. Il observe comment l’homme et l’œuvre se confondent chez
Houellebecq, devenu un « cas », portant la provocation non seulement
dans son livre mais aussi dans ses propos. A tel point que le mécène du prix
s’était opposé au choix d’un tel lauréat et, allant jusqu’au bout de sa
logique, avait retiré son financement à un jury qui allait devoir, en outre,
changer de nom. Petites anecdotes sans importance de la vie
germanopratine ? Pas seulement : qualités et défauts des Particules élémentaires en disent long,
pour le commentateur, sur la littérature française d’aujourd’hui. Où l’auteur
qui lui semble être le plus important depuis Michel Tournier apparaît, à la
lecture de Plateforme, comme « un habile écrivain qui est un moins
habile romancier ». On puise cela, qui résume au moins en partie
l’avis de Barnes, dans un texte de treize pages…
L’écrivain sur lequel il s’attarde le plus, à travers trois
articles, n’est pas, en revanche, celui qui nous est le plus familier. Ford
Madox Ford a d’ailleurs, fait-il remarquer, toujours manqué de lecteurs malgré
le grand nombre de ses partisans. Malgré, aussi, l’influence souterraine que
son œuvre exerce encore sur la littérature d’aujourd’hui. Tous ceux qui l’ont
subie n’acceptent pas de le reconnaître : un romancier très célèbre, qui
avait lu Le bon soldat, un de ses
livres les plus importants, et à qui Julian Barnes avait demandé s’il pouvait
le mentionner, a préféré ne pas le faire savoir. Au contraire de Ian McEwan.
Comment mesurer la place que devrait occuper une œuvre par rapport à celle
qu’elle occupe réellement ? C’est une des questions qui traversent ces
trois analyses.
Quand Julian Barnes se penche sur Kipling, George Orwell ou Lorrie
Moore, parmi d’autres, il les éclaire jusque dans les plis les mieux fermés de
leur démarche créatrice. A propos de Flaubert, il compare six traductions en
anglais de Madame Bovary. Ce qui
l’autorise à conseiller l’une ou l’autre en fonction de ce que cherche le
lecteur, mais aussi à entrer dans la chair des phrases. Et encore davantage
quand, par une fiction où des couches de récit s’ajoutent les unes aux autres,
il rend hommage à Hemingway.