La pièce d'Albert Camus, Caligula, est une illustration du pouvoir totalitaire que peut exercer un homme sur les autres. Mais le pouvoir totalitaire, on le sait, n'est pas seulement, loin de là, pouvoir personnel, il est souvent pouvoir collectif.
Caligula a disparu pendant trois jours après la mort de Drusilla, sa soeur et maîtresse. Tous le cherchent et croient qu'il a fait une fugue par chagrin d'amour. A commencer par les patriciens, c'est-à-dire ceux qui ont quelque chose à perdre. Tous se trompent lourdement. Cette mort "est seulement le signe d'une vérité qui [lui] rend la lune nécessaire"...
Autrement dit, Caligula ressent désormais "le besoin d'impossible ", puisque rien ne dure en ce monde, que le monde d'ailleurs est sans importance et que le reconnaître tel quel rendrait libre... En prenant au sérieux son rôle d'empereur, en tout cas, il prend "en charge un royaume où l'impossible est roi."
Caligula adopte dès lors une logique imperturbable, qui n'est pourtant que pur sophisme: "Si le Trésor [public] a de l'importance, alors la vie humaine n'en a pas." Au nom de cette logique tous les détenteurs de fortune doivent tester en faveur de l'Etat. Si leur argent l'intéresse, leur vie ne compte pas.
Aussi, en raison des besoins - et ils sont infinis puisqu'il s'agit de réaliser l'impossible -, Caligula les fera-t-il mourir, tous ces nantis, les uns après les autres, "dans l'ordre d'une liste établie arbitrairement". La réflexion cynique qu'il fait alors prend une tout autre résonance à notre époque d'Etats obèses:
"Il n'est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes dans le prix de denrées dont ils ne peuvent se passer. Gouverner, c'est voler, tout le monde sait ça. Mais il y a la manière. Pour moi, je volerai franchement."
Cette logique suppose que tous les volés soient coupables (mais ne le sont-ils pas?). Elle justifie tous les meurtres, qui ne sont que des moyens pour parvenir à cette fin, l'impossible. Elle n'est applicable qu'à condition d'avoir atteint l'insensibilité corrélative à cette prétendue liberté dont Caligula se targue.
D'un acte l'autre, le Caligula d'Albert Camus pousse toujours plus loin cette logique. Il connaît évidemment la fin que connaissent la plupart des tyrans, quand, las de subir servitude, humiliations et prédations, quelques têtes se relèvent et finissent par frapper celui qui ne leur a apporté que de l'insécurité.
Jean-Gabriel Chobaz, qui a fait la mise en scène, souligne cette progression dans la violence avec le changement qu'il fait intervenir dans l'habillement des personnages: après quelque temps, les hommes portent des brassards décorés d'un insigne sur leurs costumes; après s'être déguisé en Venus pour être adoré ou avoir mis un tutu pour faire des pas de danse et être admiré, Caligula porte vêtements noirs et bottes de cuir...
Frank Michaux, dans le rôle de Caligula, est plus vrai que nature. C'est bien simple: il fait peur. Il faut dire que, pour son Caligula, Camus a su trouver les mots et lui prêter les ruses qui font de ce personnage lunatique et retors un tyran redoutable et redouté. Et Frank Michaux incarne réellement ce tyran, toujours plus agressif, pendant 1h45...
Il y a donc de quoi frémir, d'autant que Caligula malmène ou violente tous ceux qui lui sont proches, Caesonia (qui est amoureuse de lui jusqu'au bout), Cherea (le littérateur qui lui résiste), Helicon (l'esclave affranchi, qui lui est pourtant fidèle) et Scipion (le poète, qui pourtant le comprend), sans parler des autres personnages qui rampent devant lui...
Francis Richard
Distribution:
Paola Landolt, Raphaël Bilbeny, Julien Opoix, Frank Michaux, Jean-Marc Hérouin, Stéphane
Rentznik, Matthieu Sesseli, Daniel Vouillamoz, Leslie Rudolf et Nicolas Leoni.
Représentations:
Du 1er au 20 mars 2016
Les mercredis et vendredis à 20h
Les mardis, jeudis et samedis à 19h
Les dimanches à 18h
Réservations:
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ou
tél.