Avant d’être balafrée et toute rouge, Mars avait un visage différent dans sa jeunesse. Dans une nouvelle étude, une équipe de géophysiciens et de climatologues vient de mettre en évidence le basculement de la lithosphère que la planète a vraisemblablement subie lors de la surrection d’un immense complexe volcanique, le « dôme de Tharsis », il y a environ de 3,5 milliards d’années. Un changement qui a progressivement façonné son visage d’aujourd’hui.
Quand on observe Mars aujourd’hui, nous voyons un astre de couleur rouille, balafré, à la surface duquel on remarque des taches plus sombres et de gros boutons… Parmi ces traits distinctifs de la planète rouge, l’immense plaie béante qu’elle arbore nous renvoie évidemment au Dieu romain de la Guerre dont elle porte le nom depuis l’antiquité – une attribution qui remonte aux Babyloniens. Mais ce n’est pas au combat que s’est formée cette incision longue de près de 4.000 km baptisée Valles Marineris. C’est en réalité l’irruption des gros « boutons » voisins, un ensemble de volcans géants, qui est à l’origine de cette fracture, le plus grand et profond canyon du Système solaire.
Une nouvelle étude à laquelle ont contribué plusieurs chercheurs français, publiée le 2 mars dans la revue Nature, démontre l’influence considérable qu’a exercée le gigantesque complexe volcanique nommé « dôme de Tharsis » au cours des premières périodes de l’histoire de notre voisine. Un acteur de poids qui, comme nous allons le voir, a été en mesure de faire tourner la tête de notre voisine. Quel était le visage de Mars dans sa jeunesse ?
Qu’est-ce que le « dôme de Tharsis » ?
Autre record détenu pour Mars, une planète pourtant deux fois plus petite que la Terre : le « dôme de Tharsis » est le plus grand système volcanique du Système solaire. L’imposant mont Olympe, dont le sommet s’élève à 21 kilomètres, et le trio voisin Ascraeus, Pavonis et Arsia, ne sont en réalité que les parties les plus visibles d’un renflement aux dimensions impressionnantes créé par un « point chaud ». Durant des centaines de millions d’années, l’activité volcanique a ainsi formé un plateau qui aujourd’hui mesure quelque 5.000 km de diamètre pour 12 km d’épaisseur. Sa masse est estimée à un milliard de milliards de tonnes, soit l’équivalent d’un soixante-dixième de la Lune.
L’édifice qui s’est ainsi constitué progressivement a provoqué un important déséquilibre dans la répartition des masses si bien que toute la lithosphère de Mars, sa croute et son manteau, aurait basculé de 20 à 25 ° il y a entre 3 et 3,5 milliards d’années, pour finalement se positionner au niveau de l’équateur martien. C’est en quelque sorte la coquille qui a bougé en raison de cette pesante structure ou, si on l’imagine que la planète était un abricot, c’est sa chair qui s’est déplacée et non son noyau. Ce basculement ne concerne donc pas l’obliquité de Mars, le phénomène n’a pas modifié son axe de rotation.
Basculement progressif de la lithosphère martienne et ses conséquences — Crédit : Sylvain Bouley
Des indices qui corroborent le scénario d’un « basculement »
Dans un modèle géophysique publié en 2010, Isamu Matsuyama, de l’université d’Arizona, avait montré l’influence du « dôme de Tharsis » sur l’orientation du globe martien par rapport à son axe. Intéressés par ses recherches, les géomorphologues Sylvain Bouley, de l’université Paris-Sud et David Baratoux, de l’université Toulouse III – Paul Sabatier, qui enquêtent depuis plusieurs années sur les vallées fluviales de Mars, ont corroboré leurs observations avec ce postulat.
Les nombreuses rivières qui descendaient des reliefs de l’hémisphère sud vers l’équateur étaient autrefois sur une bande parallèle à celui-ci, positionnée aux latitudes tropicales, à la différence d’aujourd’hui où ils apparaissent décalés d’une vingtaine de degrés (voir schéma ci-dessus). Ce scénario d’un glissement des positions est renforcé par ailleurs par les traces de retrait de glaciers, de fontes de glace qui ont été observées et aussi par la présence de glaciers souterrains, là même où devaient se situer les pôles avant ce basculement.
Le nouveau modèle montre que le « dôme de Tharsis » ne se serait pas majoritairement formé avant 3,7 milliards d’années contrairement à ce que prédisait le scénario généralement admis. La formation des rivières n’en serait donc pas une conséquence, comme le voulait le modèle. En réalité, elles peuvent tout à fait exister sans Tharsis. Pour les chercheurs, elles pouvaient donc être contemporaines de la formation de l’édifice. Toutefois, celui-ci a pu favoriser leur assèchement. La question reste ouverte.
En outre, dans les conditions de la Mars primitive avec une atmosphère plus dense et un climat relativement froid, les simulations du Laboratoire de météorologie dynamique prévoient la présence d’accumulation de glaces autour de 25 ° de latitude sud, dans les régions en altitude qui correspondraient aux sources des rivières.