Non, Pierre Desproges n’est pas encore ressuscité. Ne vous réjouissez pas trop vite. Cet album, réédition d’un ouvrage initialement paru chez Jungle en 2005, propose l’adaptation illustrée de quelques textes emblématiques de l’humoriste décédé en 1988. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous mais Desproges appartient sans conteste à mon panthéon à usage personnel, l’égal de Pierre Dac, Coluche, Guy Bedos, Stéphane Guillon, Didier Porte, des gens qui savent faire rire astucieusement, et l’on a bien besoin d’intelligence par les temps qui courent, cette qualité semblant malheureusement faire défaut à un grande partie de l’humanité, politiciens, religieux et sportifs en tête. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Desproges vilipendait souvent ceux-ci. Mais pas que...
Ce qui énervait Desproges, c’était le beauf en général. Lui n’hésitait pas à dire le con, question de sémantique. C’est que Desproges avait le verbe acerbe, la plume affûtée, bien qu’emmanchée d’un solide stylo, la répartie acide. Et, surtout, il maniait la langue française avec une éloquence et une matoiserie peu communes. En ce sens, il était probablement plus efficient que l’académicien moyen, d’autant que la vénérable institution, ces derniers temps, a une fâcheuse tendance à se fourvoyer du mauvais côté de l’ouverture d’esprit et de la tolérance. Comme le disait Desproges lui-même : Quand il a fini d’écrire des conneries dans le dictionnaire, à quoi sert un académicien ? Desproges, au moins, faisait rire avec les siennes de conneries. Même si vous n’avez jamais lu aucun de ses livres, il a pourtant écrit quelques ouvrages essentiels (« Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis », « Vivons heureux en attendant la mort », « Chroniques de la haine ordinaire »), vous connaissez peut-être ses prouesses radiophoniques (« Le tribunal des flagrants délires » avec Claude Villers et Luis Rego) ou télévisées (« La minute nécessaire de monsieur Cyclopède »), sans parler de ses one-man-show parfois rediffusés sur le petit écran. Tous ces textes, aphorismes, sketches, articles avaient forcément de quoi inspirer de doctes illustrateurs, eux-mêmes nourris à cette prose débridée en même temps qu’à la mamelle de la dérision et du politiquement incorrect. Car Desproges n’avait rien du discoureur policé et standardisé qui envahit aujourd’hui la sphère médiatique. Desproges ne pratiquait ni la langue de bois rabotée au millimicron ni la phrase aussi creuse et insipide que le vocable d’une « star » de la télé-réalité.
Rien d’étonnant donc, contrairement à la sagesse desprogienne, quand on parcourt la liste des participants à cet album, de constater que tous, ou presque, sortent des viviers de Fluide Glacial, Charlie, Hara-Kiri, L’Echo des Savanes ou du fanzinat. Derrière un Gotlib en Monsieur Loyal éditorialiste, on voit ainsi défiler des Alteau, Charb, Fabcaro, Gaudelette, Goossens, Maëster, Rabaté, Riff Reb’s. Liste non exhaustive puisqu’ils sont 25 à avoir dégainé plumes, feutres et crayons pour rendre hommage à ce grand pourfendeur de la bêtise humanoïde. Tous ces dessinateurs ayant eux-mêmes opté pour une semblable ligne de conduite militante et dénonciatrice des défauts des autres. Ah ben oui, hein, Desproges n’allait quand même pas se soucier de la poutre dans son œil quant il pouvait besogner la paille de ses voisins. Chacun, à sa manière, a donc illustré un texte de Desproges, l’occasion de concocter, au passage, un florilège de ses écrits et d’en faire une sorte d’introduction à son œuvre à l’usage de ceux qui sont passés à côté, pour quelque raison que ce soit, recevable (pas nés, en mission aux confins de l’univers) ou inavouable (j’avais piscine, je ne comprends pas la langue). Et il était temps. C’est que les secondes passent, rythmées par le tic-tac monotone de l’horloge de monsieur Cyclopède, et que Desproges nous a quitté voilà bientôt 30 ans. Un bail dont je ne voudrais pas avoir à acquitter le montant des loyers restés impayés depuis. On a les illustrateurs, Sergio Aquindo, Rochette, Zou, Lauzier, Edika, Cabu qui, en un dessin bien senti, épicent consciencieusement un petit texte de Desproges, comme ses brèves d’info écrites pour L’Aurore ou des extraits de son « Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis ».
Dans cette catégorie, Laurent Verron se distingue avec un très beau portrait en pied du maître, l’exception qui confirme la règle puisqu’il est le seul à ne pas s’être servi du poids de ses mots, ni, d’ailleurs, du choc de ses photos puisque Desproges n’était pas photographe. CQFD. Les autres, les façonneurs de petits mickeys, faisant ce qu’ils savent faire de mieux, de la bande dessinée. J’en vois qui font les étonnés, mais c’est comme je vous le dis. Au reste, j’en profite pour en dénoncer deux qui ont honteusement exploité des enfants, les leurs, d’accord, mais quand même, nous ne sommes ni en Angleterre (cette fois ne riez pas, le travail des enfants est encore légal dans ce pays) ni en Chine. Ainsi Gilles Cazaux a-t-il demandé à deux petits bouts de chou de 8 et 3 ans de remplir une paire de cases dont il n’a pas voulu s’occuper, le comble du cynisme étant atteint quand on sait que le texte de Desproges réclamait une fête des enfants, après celle des mères et celle des pères.
Quant à Jean Solé, en 1981, il assiste au « Tribunal des flagrants délires » avec son fils Julien, 10 ans. Ce jour-là, l’accusé est Marcel Gotlib et Solé noircit son bloc-notes de croquis pris sur le vif tandis que le petit Julien fait partie du jury. Par la suite, Solé fait un compte-rendu graphique en quatre pages de cette session, Julien lui-même croquant le président Villers et ses deux assesseurs. Avec un tel passif, côtoyer de près Gotlib et se voir imposer par son père de participer à ses turpitudes artistiques, on comprend que le petit Julien ait lui aussi sombré dans la BD sous le nom de Ju/CDM alors qu’il avait certainement toutes les qualités requises pour devenir notaire de province, député de Lozère, voire même, allez savoir, patron du futur MEDEF, qu’on appelait alors CNPF. A quoi tient une carrière. Notez bien que le milieu familial n’est jamais garant d’un futur radieux. Desproges, fils d’enseignants respectables, n’a-t-il pas lui-même mal tourné en flagellant plus que de raison fonctionnaires, petits-bourgeois, généraux de brigade, gardiennes d’immeuble et autres alsaciennes en costume traditionnel alors que tous ces braves gens ne lui avaient rien demandé. Eh oui, Pierre Desproges s’était auto-accordé le permis de huer. Étonnant, non ?
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