(Anthologie permanente) Ulf Stolterfoht (par Jean-René Lassalle)

Par Florence Trocmé

barthélémy : le crâne rasé lisse et dans la main
un bon livre, dans l’autre le couteau, avec lequel on l’a dé
piauté – souvent il présente réjoui sa dépouille. protomar
tyr. souffrant exemplaire. ceux qui le prient : chats, manos, pro
fanes de heslach – et l’homme danse autour de sa monstrance. absolu
ment un aspect syncrétique. foyer de la ferveur : extérieur sacral
avec pin à aiguilles, dessus la sortie est du tunnel souabe. casque
obligatoire. apporte des bougies, un brin de menthe ou phlox, même
une vipère morte ira. barthélémy passe pour un rude boy, coléreux génie,
saint patron de l’anarchie (ainsi que des éditeurs piétistes).
schismatique lettré, hérétique amateur, tombe dans le savoir et y
reste. écrit peu et sans message, renonce aux contextes.
par contre sa paperasse a la classe : « contre la sémantique bourgeoise et
ses combines référentielles » - y jeter un œil suffit et l’on sait à
quoi s’en tenir. sur l’inutilisable de la beauté, le grand
iose de la déraison, l’inattaquable éclatant kant. (apparemment
elvis costello a mis ces textes en musique. entendu dire. aucune trace à ma
connaissance.) et quand bien même – sa popularité n’en serait qu’in
suffisamment justifiée. autre chose est en jeu : hay market, la lutte
pour le pain, querelle des prémisses, brigade sacco/vanzetti. c’est un savoir
enfoui. même moi je ne sais rien. barthélémy : zêlé, déchi
ré, les membres percés sur claie. barthélémy avec pot au lait, trois
biches à ses pieds. le blanc, pour rafraîchir les piquets de grève. barthélémy
avec ses doctrines écartelées, ses mitraillettes entrecroisées.
Extrait de Ulf Stolterfoht : holzrauch über heslach, Engeler, Bâle 2007. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle
bartholomäus: mit kahl geschornem schädel, in der einen hand
ein gutes buch, in der anderen das messer, mit dem man ihn ent-
häutete – oft präsentiert er schmunzelnd seinen balg. protomär-
tyrer. exemplarischer leider. es beten ihn an: katzen, manos, pro-
fane heslacher – sogar der mann umtanzte die monstranz. durch-
aus synkretistische züge. hauptort der huld: sakraler außenraum
mit nadelbaum, über dem östlichen schwabtunnelausgang. helm-
zwang. bring kerzen mit, ein sträußchen minze oder phlox, auch
toter otter kommt gut. bartholomäus gilt als rude boy, wutgenie,
als schutzheiliger der anarchie (sowie der pietistischen verlage).
gelernter schismatiker und hobby-häret, gerät ins wissen und ver-
bleibt. schreibt wenig und aussagearm, verzichtet auf bezüge.
doch seine abfasse hat klasse: „wider die bürgerliche semantik und
ihren referenztrick“ – ein blick darauf genügt und man weiß ab-
schließend bescheid. über den nichtnutz der schönheit, die herr-
lichkeit des unverstands, den fraglos eklatanten kant. (angeblich hat
elvis costello diese texte vertont. hörensagen. mir ist darüber nichts
bekannt.) und selbst wenn – es würde seine popularität nur unzurei-
chend klären. da spielt noch anderes mit rein: hay market, der kampf
ums brot, prämissenstreit, sacco / vanzetti-tateinheit. das ist versunknes
wissen. auch ich weiß davon nichts. bartholomäus: beflissen, abge-
rissen, mit aufgespleißten gliedern. bartholomäus mit milchtopf, drei
hirschkühe zu füßen. das weiß, die streikposten zu laben. bartholomäus
mit weit herausgeschobenen lehren, mit zwei gekreuzten sturmgewehren.
Extrait de Ulf Stolterfoht : holzrauch über heslach, Engeler, Bâle 2007.
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Dialogue n°3 avec la Nourrice (extrait)
(S : Stolterfoht, N : Nourrice)
S : Bon, très concrètement : qui parle quand la Nourrice parle ?
N : Vous voilà avez bien raison. C’est absurde.
S : La question se pose de même pour moi : qui parle quand je parle ?
N : L’homme de la masse est ainsi faite qu’il ne veut que singer.
S : Phrases déjà dites. On parle ce qui est déjà dit.
N : Et alors ? Dire c’est faire peut-être ?
S : C’est le pragmatisme tel qu’il doit être. La main à la pâte du langage.
N : Je pense : plutôt une formulation séduisante sous la main que des concepts cochonneux utilisés.
S : Ils m’intéresseraient bien, les concepts cochonneux. Est-ce qu’on pourrait en entendre certains ?
N : L’âme pieuse est intéressée par atteindre le paradis.
S : Elle aurait reconquis la langue d’Adam. Quelle vaisselle cela ferait.
N : Que signifie : l a n g a g e ?
S : Dis-le, toi !
N : Ça est vraiment le plus pur opportunisme.
S : Que signifie le langage ? J’aimerais bien le savoir !
N : La machine est pour aucun téléphone.
S : Y a t-il donc quelque chose d’autre que le langage pour la machine ?
N : Le barbare s’exprime horriblement, on le sait.
S : Au moins il parle.
N : Je vois là rien de significatif.
S : Cela me surprend beaucoup. Je pensais que nous considérions tous deux le langage comme le facteur décisif.
N : Ça depend si êtes vous suffisamment opportuniste pour s’adapter.
S : Mon Dieu, la Nourrice est construite avec du langage – il n’y a pas là de confusion.
N : Le Dieu il pénètre la Nourrice comme un sous-locataire occasionnel.
S : Serait-il possible qu’IL parle à travers la Nourrice ? Occasionnellement ?
N : Il y a moins de contraint à cette racontar qu’il n’y ait de contraint dans le lait.
Extrait de : Ulf Stolterfoht : Ammengespräche, roughbooks/Engeler 2010. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Ammengepräch 3 (extrait)
S : Also ganz konkret: wer spricht, wenn die Amme spricht?
N : Da Sie haben ganz recht. Das is absurd.
S : Die Frage stellt sich genauso bei mir: Wer spricht, wenn ich spreche?
N : So is die Masse Mensch dass sie will nur nachäffen.
S : Schon gesagte Sätze. Man spricht den schon gesagten Satz.
N : Und? Gesagt getan etwa?
S : Das ist Pragmatismus, wie er sein soll. Sprachlich zupackend.
N : Denke ich: lieber eine reizende Formulierung am Hand als schweinene Begriffe benutzt.
S : Die würden mich interessieren, die schweinenen Begriffe. Könnte man da mal was hören davon?
N : Die fromme Seele is interessiert zum den Paradies erlangen.
S : Und hätte die Sprache Adams zurückerobert. Das wäre ein Aufwasch.
N : Was is gemeint mit: Sprache?
S:Sag du es!
N : Dis is schon der alleräusserste Opportunismus da.
S : Was ist gemeint mit Sprache? Ich möchte das gerne wissen!
N : Der Apparat is keinem Telefon.
S : Gibt es denn fur den Apparat etwas anderes als Sprache?
N : Grausig tönt der Barbar wie man weiss!
S : Immerhin spricht er.
N : Ich sehe nich für bedeutend an.
S : Das überrascht mich sehr. Ich dachte, wir beide würden Sprache für das Entscheidende halten?
N : Kommt an ob Sie sind genügend einem Opportunist zum sich anpassen.
S : Mein Gott. Die Amme ist aus Sprache zusammengebaut - da gibts doch kein Vertun.
N : Der Gott fâhrt in die Amme ein als einen gelegentlichen Untermieter.
S : Kann es sein,  daß ER durch die Amme spricht ? Gelegentlich ?
N : Da is weniger am den Gerede verkniffen als am den Milch verkniffen is.
Extrait de : Ulf Stolterfoht : Ammengespräche, roughbooks/Engeler 2010.
Le premier poème fait partie d’un cycle de personnages hybrides entre saint et révolutionnaire.
Le dialogue recrée l’interaction du poète avec une machine parlante.
Ulf Stolterfoht dans Poezibao :
biobibliographie  - extrait 1
Ulf Stolterfoht est un poète expérimental allemand né en 1963 qui utilise certaines techniques postmodernes (intertextualité foisonnante) au service de poèmes qui réinventent un langage sans en avoir l’air. Dans les trois premiers volumes de « Fachsprachen » (Jargons), Ulf Stolterfoht détourne des vocables de lexiques spécialisés pour créer des puzzles de langage jouant avec le non-sens et recélant des parodies sonores et rythmées de la sphère culturelle allemande. Le livre suivant, « holzrauch über heslach » (Fumée de bois sur Heslach), est un long poème ressemblant à une autobiographie de jeunesse dans un quartier populaire de Stuttgart : Heslach. Cependant les repères sont hallucinés : une bande de jeunes, parlant un dialecte intitulé le « maniaque », s’adonne à l’écriture de poésie comme d’autres à la musique rock : avec excès, extase et dérision. Le dernier livre de Stolterfoht, « Ammengespräche », serait inspiré par son dialogue avec une machine parlante, die Amme (« la nourrice »), programmée pour répondre même aux questions absurdes. Ulf Stolterfoht a aussi traduit Gertrude Stein et JH Prynne en allemand.
[Jean-René Lassalle]