La Route Du Rock Collection Hiver 2016

Publié le 01 mars 2016 par Hartzine

Inaugurée sur les chapeaux de roues avec une première soirée rennaise illuminée, paraît-il, par une prestation dantesque des montréalais de Jerusalem In My Heart, on était pas mécontents pour notre part de démarrer cette édition hivernale avec l'alléchante programmation de cette seconde soirée: Car Seat Headrest, Kevin Morby et Here We Go Magic, autant dire que ça sentait bon la dentelle. Will Toledo, premier à fouler la scène de l'Antipode, ne décevra pas nos attentes, provoquant même un enthousiasme réel et des dodelinements de tête garantis sans coup du lapin: avec sa dégaine et ses chansons définitivement laid back, Car Seat Headrest délivre une slacker-pop délicieusement addictive et définitivement détendue du gland, piochant dans les qualités d'un certain nombre de nos héros, de Yo La Tengo à Teenage Fanclub en passant, bien sûr, par Stephen Malkmus. Le petit Will est sans doute promis à des lendemains enchanteurs. Kevin Morby, lui, sera la déception de la soirée: non pas que l'individu manque d'inspiration, ou que l'on remette ses qualités d'écriture en cause. Avec Woods, Morby a prouvé ces derniers temps qu'il était capable du meilleur (même si le prochain album du groupe, City Sun Eater In The River Of Light, à paraître en avril prochain, divisera sans doute un peu plus...). Mais sur ce coup, il convient de reconnaître que le garçon, seul sur scène, agira sur nous comme si on on nous avait collé trois Temesta dans la bière: une prestation gentiment soporifique, sans être désagréable, mais terriblement convenue et plan-plan. Les fans seront restés fans à la fin du set, les autres se seront poliment et progressivement détournés de la scène, un peu engourdis. Par la suite, Here We Go Magic, qui avec leur dernier album Be Small sont revenus à une formule plus épurée et plus intimiste, remplira son contrat sans difficultés: avec un Luke Temple serein aux manettes, le groupe délivre un show empreint d'une classe naturelle et d'une finesse qui lui sied à ravir. C'est beau, c'est juste, et constitue une conclusion idéale de la parenthèse rennaise avant le coup d'envoi des réjouissances malouines.

Et il convenait d'être à l'heure à La Nouvelle Vague le lendemain pour assister à ce qui restera comme l'un des highlights de cette édition: Novella, le quintette de Brighton aux trois-quarts féminin, aura remporté la mise haut la main avec un show mêlant mélodies légères, raffinées, et puissance sonique entêtante. Certes, tout ne semble pas totalement abouti chez Novella, mais ces chansons armées d'une sensibilité mélodique typiquement twee, d'une dimension hypnotique non sans rappeler DIIV, et d'une efficacité digne de leurs glorieuses ainées Elastica ou Lush, ont toutes les qualités pour faire sacrément parler d'elles. Un concert réjouissant, énergisant, galvanisant. Et de l'énergie, il nous en faudra pour supporter la suite des évènements: La Priest, qui aura choisi son plus beau pyjama pour investir seul la scène de la Nouvelle Vague, délivrera un set pour le moins... anecdotique. Enchaînant ses vignettes electro-pop se voulant plus érudites qu'il n'y paraît mais sonnant pourtant inexorablement datées, l'ancien leader de Late Of The Pier ne déclenchera pas un enthousiasme débordant, bien qu'il semble décidé à s'agiter un maximum pour honorer le festival. Pas foncièrement désagréable, mais tout sauf mémorable. Dans tous les cas, le pire était à venir: le collectif Bon Voyage Organisation, dont on se demande bien comment ils ont pu atterrir dans la programmation, constitue sans doute l'un des pires traumatismes vécus durant une Route Du Rock, été et hiver confondus. Visiblement plus soucieux de leur apparence que de la qualité de leur musique, et probables malheureuses victimes d'une hypertrophie égotique carabinée, les Bon Voyage Organisation tournent à vide, sans que l'on comprenne pourquoi ils semblent si réjouis de la vacuité de leur œuvre. Qu'ils tentent à l'occasion de faire guincher quelques commerciaux du BTP dans des afterworks niortais, ou qu'ils ambiancent des retours de mariage à Juan-les-Pins, d'accord. Mais pitié, qu'ils nous laissent en dehors de ça, on a rien demandé. Heureusement, Flavien Berger aura réussi par la suite à nous ramener à la vie, et c'est une sacrée performance quand on a été précédé d'une telle catastrophe. Berger, fidèle à ce qu'on connaît de lui, promènera sur scène sa touchante singularité, ses chansons surréalistes en bandoulière, qui allient à merveille poésie contemplative et froideur techno. Une parenthèse spatiotemporelle, à la fois bucolique, urbaine et intersidérale, qui aura sauvé les meubles de la soirée avec brio, avant que Benjamin John Powers, moitié des délicieux Fuck Buttons, ne s'occupe de clôturer en beauté la nuit avec son projet solo Blanck Mass. Nappes de synthés saturés, rythmes extatiques, incandescence du son et des sens: quoi de mieux pour terminer une soirée nichée au cœur de l'hiver breton qu'une bonne gifle de ce type, à la fois capable de faire rosir les joues et glacer les synapses. Il était temps de rentrer se pager, un peu étourdis par tant d'émotions contradictoires, pour remettre à nouveau le couvert le lendemain.

Malheureusement, intervient ici une ellipse que commande un minimum d'honnêteté: des raisons impérieuses nous ayant conduit à manquer une partie de la soirée, exit tout commentaire sur la pop argentée de l'Écossais C Duncan, et de celle de son voisin Irlandais Villagers. Mais notre arrivée tardive ne l'aura heureusement pas été assez pour manquer Hookworms, combo de Leeds qui avec son second album a considérablement gagné en cohérence et en puissance. Leur psych-rock bien frontal fait merveille sur scène, éructé avec urgence, sincérité, et à une vitesse folle. Excellente entrée en matière, donc, avant que Cavern Of Anti-Matter, nouveau projet de Tim Gane de Stereolab pour faire court, ne déboule sur scène. Avec une galette convaincante en poche ne s'éloignant pas de l'œuvre " stereolabienne " mais incluant des éléments kraut et parfois garage, on était en effet impatients de voir la puissance de frappe de ces morceaux sur scène. Et elle se révèle considérable: dans une formule guitare/batterie/machines à l'efficacité sans faille, chaud comme la braise, le trio jouera à merveille la carte de l'hypnotisme et finira par remporter la mise auprès d'un public pourtant quelque peu désarçonné en début de set. La soirée se conclura sur la même dynamique vertueuse avec Drame ( lire notre interview), nouveau projet kraut-disco de Rubin Steiner. Bien plus enjouée que son nom ne l'indique, cette nouvelle entité, sans complexe et en toute décontraction, aura su s'occuper de fournir au public une dernière secousse avant de renvoyer tout le monde à ses pénates. La dimension impro et éminemment collective saute aux yeux et fait plaisir à voir et entendre, tant ces types semblent s'amuser sur scène. Avec en cadeau bonux un Quentin Rollet des grands soirs, chaud-bouillant au saxo, on ne cachera pas notre plaisir d'avoir pris un bon shoot de cette sauce kraut-disco-techno bien fêlée du casque et jamais prétentieuse.

Et la fin d'une édition hiver nous amenant invariablement à envisager sa prochaine homologue estivale, on en profite donc, satisfait de notre week-end malouin, pour nous faire l'écho d'une initiative plutôt originale du festival: faisant appel aux talents de pronostiqueurs de son public, La Route Du Rock organise en effet un concours sortant des sentiers battus. Vous pouvez en effet laisser dès maintenant libre cours à vos fantasmes de line-up parfait, en imaginant celui de la prochaine édition été sur cette page dédiée. Les affiches les plus approchantes de la réalité gagneront deux passes VIP. De quoi goûter, en plus des concerts, à l'inénarrable ambiance de l'espace pro du Fort Saint-Père.