Dans la ceinture d’astéroïdes, l’enquêteur Josephus Miller se voit proposer de retrouver Julie Mao, fille d’un richissime industriel terrien qui a coupé les ponts avec sa famille pour rejoindre les colons et les prospecteurs. De son côté, James Holden compte parmi les rares survivants du Canterburry, ce navire de transport de glace saturnienne détruit par des forces inconnues, et il est bien décidé à découvrir pourquoi. Enfin, sur la Terre, la diplomate Chrisjen Avasarala enquête sur un trafic de pièces détachées qui menace les relations entre Mars et la Terre. Quel lien unit ces trois investigations ? Qui peut bien vouloir jouer ainsi avec la paix dans le système solaire ?
Qui, ou « quoi » ?
Adaptation d’une série de récits par l’auteur à quatre mains James S. A. Corey, dont le premier volume se vit nominé pour les très prestigieux prix Hugo et Locus, et dont le second tome obtint d’ailleurs ce dernier, The Expanse nous intéresse avant tout pour sa description d’un futur probable où l’impasse de l’exploitation des ressources de la Terre poussa les habitants de cette dernière à chercher ailleurs ce dont ils ne pouvaient se passer pour perpétuer leur civilisation technicienne – un discours pour le moins classique dans le genre de la science-fiction et qui préoccupa assez vite la communauté scientifique (1) mais dont les diverses productions sur écran, du moins en occident, se montrent hélas assez avares.
L’évidence ne demandant aucune démonstration, je ne m’attarderais pas à expliquer ce qui nous menace à un horizon d’ailleurs assez proche si nous nous entêtons à ignorer les quantités quasi infinies de ressources qu’offre le système solaire, et au lieu de ça évoquerais plutôt ce portrait d’un avenir possible qui me semble constituer le principal intérêt de cette création. Car The Expanse ne nous décrit pas une destinée radieuse où la race humaine unie dans un effort commun dépassant tous les clivages se lance avec audace là où aucun homme n’est jamais allé afin de bâtir un monde nouveau qui sent bon l’utopie, pour ne pas dire la naïveté et comme on en vit de nombreuses itérations dans bien des productions antérieures.
Bien au contraire, les lendemains ici décrits montrent bien comme cette conquête de la nouvelle frontière se pavera de sueur et de larmes, si ce n’est de morts pures et simples pour fournir confort et douceur de vie à une forme d’élite restée bien confortablement sur un monde peut-être très amoché par les erreurs du passé mais néanmoins toujours plus clément que la vie dans l’espace. Il n’y a aucune raison, en effet, pour que l’avenir fasse rimer colonisation avec autre chose qu’exploitation, à moins d’ignorer les leçons de l’histoire. Pour cette raison, The Expanse ne se contente pas de dénoncer la lutte des classes en la transposant dans un avenir fictif : sur bien des aspects, et c’est bien là ce qu’il y a de plus dérangeant, elle la prolonge…
Sur le pur plan de la réalisation, on apprécie comme le scénario, les dialogues, la mise en scène et puis bien sûr les images illustrent chacun à leur manière cette civilisation de l’espace, depuis ses moindres aspects de la vie de tous les jours jusqu’à ses éléments techniques les plus obscurs – mais sans pour autant tomber dans l’abscons, voire le rébarbatif qui caractérise souvent ce type de productions. Ainsi, cet horizon pas si lointain que ça devient-il plus que crédible : il se montre tangible. Et de telle sorte que regarder un épisode de The Expanse revient à plonger tête première dans le futur tel qu’il nous attend ou presque, pour le pire comme pour le meilleur. C’est bien là une définition possible du sense of wonder (2) après tout.
Pour le reste, il s’agit avant tout d’un thriller rondement mené, à la structure narrative bâtie autour des classiques suspense, révélations, coups de théâtre et autres retournements de situation caractéristiques de ce type de production mais qui se trouvent tous ici assez bien dosés pour tenir le spectateur en haleine sans pour autant trop tirer sur la corde de l’invraisemblance ou bien du spectaculaire gratuit, parmi d’autres défauts typiques du genre. On peut aussi apprécier la description d’une scène politique complexe farcie de toutes sortes de complots et de trahisons qui rappellent assez Games of Thrones (David Benioff et D. B. Weiss, 2011) mais en plus léger bien que pas forcément plus digeste – on s’y perd toujours un peu.
D’ailleurs, si cette première saison se termine comme il se doit en cliffhanger, elle propose malgré tout un récit dans l’ensemble très appréciable et laisse augurer une seconde saison qui, on l’espère, se montrera aussi passionnante. À dire le vrai, The Expanse s’annonce comme la meilleure réalisation de science-fiction sur le petit écran depuis trop longtemps.
(1) j’en veux pour exemple le très recommandable essai de Gerard K. O’Neill (1927-1992) paru en 1976 et intitulé The High Frontier (Collector’s Guide Publishing, 2001 pour la 3ème édition révisée, ISBN : 1-896-52267-X), qui examinait les possibilités de colonisation de l’orbite terrestre afin d’utiliser les ressources de l’espace proche pour autoriser la poursuite de notre développement industriel. ↩
(2) cette expression désigne en général le sentiment de vertige, ou ressenti du même ordre, qui saisit le lecteur face à l’exposition de certains faits techno-scientifiques qui bouleversent sa perception du réel et/ou sa compréhension du monde ; c’est un effet typique de la science-fiction. ↩
Notes :
L’écriture de la seconde saison a commencé en mai 2015, avant que l’épisode pilote de la première soit diffusé, et cette suite se vit confirmée en décembre de la même année. Cette seconde saison doit être diffusée en 2017.
The Expanse est à ce jour la production télévisuelle la plus coûteuse qu’ait produite la chaîne Syfy.
The Expanse, Mark Fergus et Hawk Ostby, 2015
NBC Universal Television Distribution
10 épisodes (1 saison) à ce jour
– le site officiel de The Expanse
– d’autres avis : Small Things, ÀMHÁ, Le Kamikaze de l’écran, A.V. Club