Cinq siècles – un court instant à l’échelle de la Terre mais une période considérable pour l'activité consacrée à une seule espèce de poisson - d’exploitation excessive des richesses de la mer auront suffi à épuiser la plus vaste réserve alimentaire destinée aux hommes, celle de la morue – Gadus morhua - des eaux de Terre-Neuve, du Labrador, de l’Islande et du Groenland … C’est un constat pénible, et il faut considérer désormais comme un privilège de pouvoir déguster, comme un produit de luxe à traiter avec respect, un dos de cabillaud … Pour combien de temps encore ?
Cette exposition originale, à la fois technique, historique, humaine, littéraire et écologique, nous plonge au cœur de la saga de la Grande Pêche, sur les morutiers qui emmenaient durant six mois les hommes travailler comme des forçats dans les entreponts, sur les chaloupes, les doris, dans la brume, les embruns et les tempêtes, pendnt que leurs femmes attendaient leur retour au pays.
Quand on pouvait pêcher des morues de 90 kg, il fallait des gars sacrément costauds pour remonter les lignes dérivantes, couper la tête de l’animal, l’ouvrir, le vider, le balancer à fond de cale pour le recouvrir de sel ou le ramener sur les vastes plages de galets de Terre-Neuve pour l’enfiler sur un filin et le laisser sécher.
Car l'Europe avait besoin de protéines. La pêche à la morue, lointaine, dangereuse, rapportait gros à une époque où la religion imposait un carême de 40 jours et au moins un jour de jeûne par semaine … et la ressource semblait inépuisable. L’Europe développa ses ports, le commerce triangulaire prospérait – l’autre, celui où l’on embarquait le sel et qui permettait aussi un fret de retour par les Antilles (tiens, on retrouve les accras !).
Dunkerque, Fécamp, Granville, Saint-Malo, les ports bretons, Arcachon, Bègles, Bayonne, Sète, Marseille … Toute une économie tournait autour de la morue salée ou séchée, abondante, rémunératrice, facile à stocker, pénétrnt jusqu'au fin fond des terres … Dans notre patrimoine gastronomique, la morue tient une place éminente, et que dire des Espagnols et des Portugais ? Une ressource ouverte à tous, tellement riche que l’on a commencé, avec le progrès technique, à la pêcher avec d’immense chaluts, des navires-usines la congelant sur place … jusqu’à un point de (presque, j'espère ...) non-retour. Depuis 1995, la pêche est interdite le long des bancs de Terre-Neuve et le peu de morue que l’on peut acheter provient à présent des rares zones de l’Atlantique nord-est que l’on a su préserver.
L’exposition suit un parcours chronologique. Elle est très bien adaptée aux parents comme aux enfants, avec des schémas, de petits films, les images évocatrices attachées à la culture spécifique de cette geste épique qui coûta la vie à de si nombreux marins. La littérature – Pierre Loti, Rudyard Kipling – le cinéma, les journalistes, la peinture larmoyante de la fin du XXème siècle, les ex-votos, tout y est.
On termine par une explication technique objective - les chiffres parlent d’eux-mêmes - sur les conséquences de la surexploitation des fonds marins, la nécessité d’une pêche durable, le désastre des prises accessoires (by-catch) et de la pêche de contrebande, la fausse bonne idée de l’aquaculture. Une leçon d’écologie qui fait penser que toute ressource peut disparaître …
Dans les mailles du filet, exposition au Musée National de la Marine, Palais de Chaillot, ouvert tous les jours sauf le mardi, jusqu’au 26 juin.