Scène 6 (Cont.6)

Publié le 29 février 2016 par Nicolas Esse @nicolasesse

Madame H. : Le danger, à mon âge, serait de m’attacher.
Patrizia : Vous avez peur de quoi ? Des photos ? Des remarques de vos copines ?
Madame H. : Je l’ai très peu utilisé, mon cœur. Très peu. Une fois peut-être. Non. Soyons honnête. Une vraie fois et j’ai bien failli le suivre.
Patrizia : Il était beau ?
Madame H. : Je vous parle de mon cœur.
Patrizia : Et pourquoi vous l’avez planté ?
Madame H. : C’était au début de l’été. J’ai regardé les roses. On voyait encore les traces du râteau sur les allées du jardin. La pelouse avait l’air d’un damier. Tout était parfait et moi j’allais mettre un grand coup de pied dans le gravier. J’ai pensé au jardinier.
Patrizia : J’aimerais bien voir votre jardin.
Madame H. : C’est une grande plate-forme devant les fenêtres du salon. Pas d’arbres, juste des buis, des fleurs et de l’herbe. Comme une longue terrasse suspendue au-dessus de la plaine, vous voyez ? Tout était si… ordonné, c’est ça, ordonné. J’ai marché et je me suis assise tout au bout, sur le rebord de la barrière. J’ai croisé les jambes. Je me suis redressée. Il n’y avait pas de vent. Tout était calme. Je faisais partie du plan. Comme les rosiers, les plates-bandes. Comme les allées de gravier.
Patrizia : À votre place, j’aurais pas hésité.
Madame H. : Et qu’est-ce que vous auriez fait, à ma place ?
Patrizia : J’aurais misé tout mon argent sur un nouveau jardin. Vous avez les moyens, non ? À quoi ça vous sert, tout ce fric, si c’est juste pour vous transformer en plante verte ? Pour vous, tout est possible et rien n’est possible. Vous êtes là, bien droite, les jambes croisées, exactement comme dans votre jardin. Tous les jours la même pose. De l’ordre ! De l’ordre et surtout pas de vent.
Madame H. : Faites chier.