Tchad : Le viol de Zouhoura met à nu un pouvoir arbitraire

Publié le 29 février 2016 par Unmondelibre
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Le 13 février 2016, Zouhoura, une lycéenne de 17 ans est victime d’un viol collectif. Les cinq violeurs présumés, parmi lesquels trois enfants de généraux et quatre complices dont le fils du ministre des affaires étrangères, ont été arrêtésMais cette affaire, provoquant l’ire des jeunes tchadiens, a conduit dès le 15 février à une vague de contestations contre le pouvoir d’Idriss Déby. Face à ce mouvement de protestations, le pouvoir a répondu par une répression vive et violente. Le bilan est très lourd : 17 élèves arrêtés, plusieurs autres blessés par des militaires et pire, un lycéen de 17 ans abattu par la police. Non satisfait, le régime a décidé de couper l’accès aux réseaux sociaux, notamment Facebook.

Pour comprendre ce fait divers odieux qui prend les allures d’une affaire d’Etat, il ne faut pas se détacher du contexte entourant ces évènements, et dans lequel les femmes notamment connaissent une situation difficile. Les cas de violences recensés à l’égard de celles-ci ne se comptent plus dans le pays. Sévices corporels, mariages précoces et forcés, viols et harcèlements sexuels, tel est le lot quotidien de la femme tchadienne. En 2009 déjà, l'avocate Allahissem Euphrasie, présidente de la Commission Genre de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme, sonnait l’alarme en déclarant qu’au moins 90% des femmes tchadiennes font l'objet de violence physique, morale ou socio- économique. Seulement, loin de s’améliorer, la situation de la femme au Tchad ne fait qu’empirer. Dans un tel contexte, l’affaire Zouhoura peut être alors considérée comme la goutte de trop.

Cet état affligeant et désolant de la situation du genre féminin dans cet Etat ne pourrait se comprendre qu’à la lumière de la tradition. Une tradition qui fait de l’homme un « être dominant » et la femme, un bien dont l’homme peut disposer à sa guise. Le droit de propriété des femmes sur leurs corps n’est pas respecté dans toutes ses manifestations. On comprend alors la complaisance machiste dans laquelle plonge et baigne le pays. Ce machisme culturel « normalisé » explique la banalisation de tels actes. D’ailleurs, si les violeurs n’étaient pas des fils de dignitaires, il est fort probable que cette affaire d’Etat serait restée parmi les faits divers.

Par ailleurs, il faudrait souligner le problème d’éducation des jeunes qui ne pouvait aboutir qu’à ce résultat. Car quand de jeunes lycéens, de surcroît des fils de dignitaires s’adonnent à de tels actes odieux, humiliants et dégradants, il y a lieu de remettre le problème de l’éducation sur la table, et voir ce qui n’a pas marché. Les indices d’une faillite de cette éducation n’étant plus à chercher ailleurs, car étant bien là sous nos yeux, il importe de réfléchir sérieusement sur celle-ci. Mais le pouvoir d’Idriss Déby est-il conscient de tout cela ? Il est difficile d’apporter une réponse positive à cette interrogation au vu de l’attitude adoptée par le pouvoir ces derniers jours.

Celui-ci a choisi de s’enfermer dans une attitude rétrograde en réprimant brutalement et violement les contestations de la population tchadienne. Cette réaction rigide cacherait-elle un souci du pouvoir d’étouffer l’affaire Zouhoura ? Si on peut polémiquer longtemps sur ce sujet, il y a une chose dans cette affaire qui est bien claire. C’est que le pouvoir tchadien fait preuve d’une incapacité à gérer les problématiques sociétales. Pire, sa connivence et complaisance sont une marque d'injustice sociale. Constater alors une faillite de l’Etat de droit et de justice au Tchad ne constituerait aucunement une erreur ou une contrevérité. Il ressort de tout cela un système politique gangréné par la corruption ; avec pour conséquence ultime le règne de l’impunité.

Dans ce cas, l’affaire de la petite Zouhoura n’est plus seulement liée à la question de la situation de la femme tchadienne. Certes, les contestations populaires s’analysent de prime abord comme un refus de la violence faite aux femmes, mais on peut affirmer, sans polémique, que celles-ci s’apparentent également et surtout à un refus de l’impunité, de l’injustice que subissent les Tchadiens quotidiennement. Ce faisant, c’est une défiance au président sortant qui brigue un cinquième mandat après 26 ans au pouvoir. Par conséquent, c’est le régime d’Idriss Déby, ce pouvoir sans partage dont l’objectif actuel est de remporter la présidentielle d’avril prochain, qui est ici mis en cause. Et l’opération « ville morte » du 24 février organisée à N’Djamena, et dont le succès a été tel qu’elle a été qualifiée d’ « une grande première » depuis 25 ans, témoigne de la volonté de changement du peuple tchadien.

Au lieu donc de s’employer et s’évertuer à réprimer les mobilisations n’appelant qu’à la justice, le pouvoir guerrier gagnerait à apprécier les évènements avec lucidité. Il aurait ainsi intérêt à prendre ses responsabilités dans cette affaire en mettant tout en œuvre et en donnant les moyens aux tribunaux pour la résoudre. Il faut surtout qu’il s’abstienne de faire obstruction au bon déroulement des enquêtes et procès pour qu’éclate la vérité et que ceux qui doivent être punis soient punis. Il en va de la cohésion sociale dans ce pays où pendant trop longtemps le peuple a souffert d’humiliations et de frustrations. A y voir de près, les élections présidentielles prochaines pourraient se présenter comme des élections sanction. Espérons seulement que ce soit de vraies élections afin que le peuple souverain ait le pouvoir de reconduire ou de mettre fin au long règne d’Idriss Déby Itno.

ZAKRI Blé Eddie, Etudiant en droit, Abidjan-Cocody. Le lundi 29 février 2016