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Quel hasard conduit à croiser plusieurs fois en peu de temps le nom d'un écrivain vers lequel on ne retourne pas toutes les semaines? Oscar Wilde est le dédicataire d'une nouvelle de Georges Eekhoud dans Le cycle patibulaire, que je me prépare à rééditer - cela aurait dû être en vente demain, mais j'ai pris du retard et peut-être n'y aura-t-il tout simplement pas de nouveautés en mars à la Bibliothèque malgache, la faute à d'autres tâches assez prenantes...
Et revoici Oscar Wilde par l'intermédiaire d'André Gide qui publie en 1910 un double texte sur l'auteur mort dix ans plus tôt. Le premier avait été publié dans Prétextes en 1903, le second dans une revue, en 1905. Hommage, certes, mais hommage critique, comme on va le voir en lisant la première page.
Il y a un an, à même époque, c’est à Biskra que j’appris par les journaux la lamentable fin d’Oscar Wilde. L’éloignement ne me permit pas, hélas ! de me joindre au maigre cortège qui suivit sa dépouille jusqu’au cimetière de Bagneux ; en vain me désolai-je que mon absence semblât diminuer encore le nombre si petit des amis demeurés fidèles ; — du moins les pages que voici, je voulus aussitôt les écrire ; mais durant un assez long temps, de nouveau, le nom de Wilde sembla devenir la propriété des journaux… À présent que toute indiscrète rumeur autour de ce nom si tristement fameux s’est calmée, que la foule enfin s’est lassée, après avoir loué, de s’étonner, puis de maudire, peut-être un ami pourra-t-il exprimer une tristesse qui dure, apporter, comme une couronne sur une tombe délaissée, ces pages d’affection, d’admiration et de respectueuse pitié.
Lorsque le scandaleux procès, qui passionna l’opinion anglaise, menaça de briser sa vie, quelques littérateurs et quelques artistes tentèrent une sorte de sauvetage au nom de la littérature et de l’art. On espéra qu’en louant l’écrivain on allait faire excuser l’homme. Hélas ! un malentendu s’établit ; car, il faut bien le reconnaître : Wilde n’est pas un grand écrivain. La bouée de plomb qu’on lui jeta ne fit donc qu’achever de le perdre ; ses œuvres, loin de le soutenir, semblèrent foncer avec lui. En vain quelques mains se tendirent. Le flot du monde se referma ; tout fut fini.
On ne pouvait alors songer à tout différemment le défendre. Au lieu de chercher à cacher l’homme derrière son œuvre, il fallait montrer l’homme d’abord admirable, comme je vais essayer de faire aujourd’hui — puis l’œuvre même en devenant illuminée. — « J’ai mis tout mon génie dans ma vie ; je n’ai mis que mon talent dans mes œuvres », disait Wilde. — Grand écrivain non pas, mais grand viveur, si l’on permet au mot de prendre son plein sens. Pareil aux philosophes de la Grèce, Wilde n’écrivait pas mais causait et vivait sa sagesse, la confiant imprudemment à la mémoire fluide des hommes, et comme l’inscrivant sur de l’eau. Que ceux qui l’ont plus longtemps connu racontent sa biographie ; un de ceux qui l’auront le plus avidement écouté rapporte simplement ici quelques souvenirs personnels.