La déconvenue prévisible du Président
Mauricio Macri à Rome hier matin met en joie les dessinateurs de
Página/12, tant le duo Daniel Paz (dessin) et Rudy (texte),
co-auteurs de la vignette de la manchette quotidienne, que Miguel
Rep, qui est l'auteur d'une micro-bande dessinée, elle aussi
quotidienne.
Ce sont tous les trois des artistes qui
ont un talent immense et ils sont souvent d'autant meilleurs qu'ils
sont animés de sentiments fort peu aimables à l'égard des
caricaturés... Il faut donc un sérieux sens de l'humour pour les
gens au pouvoir aujourd'hui pour supporter leurs idées
dévastatrices...
C'est ainsi que Paz et Rudy nous
représentent une audience où Macri court derrière le pape qui lui
tourne ostensiblement le dos, ce qui est tout à fait faux puisqu'au
contraire, l'entrevue s'est passé avec une grande courtoisie.
Macri : C'est pas vrai que je fais
les choses sans consulter personne.
Le Pape (ou un prélat de
l'antichambre, ce n'est pas le visage habituel que Paz donne à
François) : Vous m'en direz tant !
Macri : J'ai montré le décret à
Balcarce [son chien] (1) et comme il a remué la queue, je l'ai mis à
exécution.
© Traduction Denise Anne Clavilier
Miguel Rep, quant à lui, a inventé au
début de l'été un nouveau personnage, le Birrey (deux fois roi),
un jeu de mots avec "virrey", vice-roi, titre que portaient les plus
hauts fonctionnaires de l'administration coloniale avant
l'indépendance et qui est en exécration dans le souvenir populaire.
Les deux termes se prononcent à peu près de la même façon, même
s'il existe une légère différence toujours audible pour une
oreille bien exercée entre le v et le b. Je ne serai pas plus
étonnée que cela que l'idée lui ait été soufflée par une
interview que Raúl Zaffaroni a donnée à Página/12 où le juriste
assimilait le gouvernement actuel à une nouvelle vice-royauté, à
cause de la mise en coupe réglée, comme sous un régime de
colonisation, de l'économie des pays (pas seulement celles des Etats
décolonisés) par les grands groupes capitalistes et la haute
finance internationale.
Depuis, Rep représente
systématiquement Mauricio Macri sous cet aspect grimaçant,
carnavalesque (c'est de saison), presque démoniaque et quelque peu
rapace (une allusion claire aux fonds spéculatifs qui font chanter
l'Argentine avec le règlement de sa dette et que les kirchneristes
ont surnommés les fonds vautours, avec lesquels Macri se veut
beaucoup plus conciliant que le gouvernement précédent). Quant au
long nez, il renvoie certainement à Pinocchio et aux promesses
électorales mensongères.
Le pape : Comment allez-vous,
Doubleroi ?
Macri : Salut, Bergo... Il Papa
(2)
...
Macri, aux journalistes pendant la
conférence de presse (3) : La rencontre a été très chouette,
pauv' taré ! Vairi naillece (4)
© Traduction Denise Anne Clavilier
(1) Allusion à une photo du chien,
Balcarce, assis dans le fauteuil présidentiel que Macri a fait
l'erreur de publier sur Twitter pendant l'été. Je dis erreur parce
que publier cette photo manquait du plus élémentaire respect pour
le symbole qu'est ce fauteuil (meuble précieux qui mérite d'être
traité avec soin) et ça va le suivre pendant quatre ans. C'est
comme un certain "Casse-toi, pauv'c. !" de qui vous
savez. Qui plus est, il a choisi pour son chien le nom d'une des plus illustres familles de la guerre d'indépendance, quatre frères qui furent des héros militaires. Ce qui est en soi déjà un manque de respect pour la gloire politique du pays. Mais c'est aussi l'adresse de la Casa Rosada.
(2) Pour faire bonne mesure, Rep le
fait parler en italien. Une manière, pas très fair-play et pas très fine, de
rappeler que son père, Francesco dit Franco Macri, est né à Rome (il porte le prénom que le pape a choisi pour son pontificat) et qu'il a la
réputation d'avoir été fasciste, ce qui est un mensonge. L'homme
est né en 1930, il avait 13 ans à la chute du Duce. Il est certain
qu'il a fait partie des jeunesses fascistes. Il ne peut pas en avoir
été autrement sous ce régime totalitaire. Cela n'en fait pas un
fasciste patenté qui aurait quitté l'Italie pour échapper à la
purge après la victoire des Alliés : il est arrivé en
Argentine en 1949...
(3) Il est bon de noter aussi que pour
la première fois, pour cette conférence de presse, les journalistes
avaient été invités à se faire accréditer librement et
directement auprès de la représentation diplomatique argentine
près le Saint Siège, et non pas auprès du secrétariat général
de la présidence qui, sous le gouvernement précédent, se gardait
bien d'accréditer les journalistes qui lui déplaisaient. Et la
présidente partait avec une armée de militants et de proches, sans
aucun représentant du moindre autre courant politique que le sien.
Par conséquent, tant la conférence de presse que la composition
même de la délégation officielle correspondent à un progrès
indéniable de la démocratie, même si la politique sociale de ce
gouvernement est largement critiquable...
(4) Il lui fait parler anglais lors de
sa conférence de presse, avec un accent argentin à couper au
couteau, comme il l'avait montré à Davos. Encore avait-il eu le
courage alors de s'exposer en réveillant l'anglais de sa jeunesse
d'étudiant aux Etats-Unis alors que Cristina ne le faisait jamais
(parce qu'elle ne maîtrisait pas assez la langue). "Beri Nais" :
very nice.