Réaliser le test est toujours édifiant, en particulier dans le secteur financier, et parfois même avec des responsables d'innovation. Vous présentez une idée brillante mise en œuvre à l'autre bout du monde : excellent, mais les français n'ont rien de commun avec les australiens… Une petite banque lance un produit révolutionnaire : impossible à imaginer dans un groupe de notre taille… Un marchand en ligne transforme le parcours utilisateur sur mobile : dans notre métier, on ne peut pas perturber les habitudes…
Je pourrais multiplier les exemples à l'infini… mais essayons plutôt d'avancer vers une solution. Tout d'abord, il faut comprendre que ces réactions sont, en réalité, révélatrices d'un profond désir de ne rien changer au statu quo. Ce ne sont – tout comme, souvent, l'invocation des contraintes réglementaires ou l'autre incantation magique « il en sera toujours ainsi » (que j'aime beaucoup quand il est question des réseaux d'agences) – que des excuses prêtes à l'emploi, destinées à éviter de se plonger dans l'inconnu.
Malheureusement, la lucidité oblige à admettre que ce n'est pas en écartant l'idée du danger d'une phrase péremptoire qu'il va s'évanouir, comme par enchantement. Les cas de disruptions abondent, de la (presque) disparition des librairies dans les rues de nos villes à la guerre entre taxis et VTC, en passant par la chute de Kodak (« mais, Patrice, cela n'a rien à voir avec le monde bancaire ! ») et il n'est pas besoin de chercher bien loin pour voir les menaces s'accumuler sur les institutions financières.
Alors, la lutte contre l'expression délétère devient un enjeu de survie. Explorer les innombrables initiatives susceptibles de stimuler l'inspiration est indispensable et doit être partagé avec le plus grand nombre. Le premier objectif à atteindre est d'instiller au cœur de l'entreprise la conscience de son instabilité face aux mutations en cours. La fin du règne universel des grands établissements sur la banque du quotidien n'est pas plus absurde aujourd'hui que ne le paraissait la mort de Kodak il y a 20 ans.
La deuxième ambition (que j'essaie d'encourager avec ce blog) consiste à comprendre que les innovations, d'où qu'elles viennent, représentent autant d'opportunités pour qui sait les détecter et les analyser. Chaque expérimentation réalisée, chaque projet lancé, chaque nouveau produit ou service commercialisé…, qu'il se transforme en échec ou en succès, comporte des enseignements dont il est extraordinairement facile de s'emparer et sur lesquels il faut capitaliser pour se perfectionner à moindre frais.
Mais comment faire, si « chez nous, ce n'est pas pareil » ? Commençons par admettre que cette affirmation est vraie ! Une fois le fait reconnu, les constats sont-ils différents ? Dans une certaine mesure, oui : par exemple, la réglementation tend à ralentir l'innovation dans le secteur financier. Tant mieux ! Cela laisse le temps aux acteurs historiques de préparer l'avenir… La disruption est-elle vraiment impossible ? Nul ne le sait, mais pourquoi ne pas prendre le temps d'envisager quelques scénarios pour demain ?
En dehors des réflexions stratégiques, la même approche vaut pour l'innovation « au quotidien ». Les initiatives aperçues ailleurs ne sont peut-être pas directement applicables dans un autre environnement (un autre pays, un autre domaine, une autre taille, une autre culture, une autre infrastructure…). Mais ne serait-il pas intéressant d'imaginer comment les « acclimater » plutôt que de vouloir toujours à repartir de zéro (ou, pire, ne rien faire et se laisser dépasser par la concurrence) ?
En guise de conclusion, une petite suggestion : la prochaine fois que vous vous entendrez répondre « chez nous, ce n'est pas pareil ! » à une idée qui bouscule (un peu) l'ordre établi, essayez de trouver ce qui n'est vraiment « pas pareil » et expliquez comment vous pouvez ajuster votre proposition de manière à contourner l'obstacle… Bien entendu, vous n'aurez quasiment aucune chance d'obtenir un résultat immédiat (la crainte du changement est tenace) mais quand le doute commence à être semé…