"Paysages urbains, rêve et réalité"
C'est au sujet de l'artiste François Fries qu'était évoqué, il y a un an, l'essai de la philosophe Anne Cauquelin "L'invention du paysage" expliquant que l'idée de paysage et sa perception sont liées à la représentation qu'en donne la peinture occidentale à la Renaissance, une invention historique datée qui tient lieu de fondation pour la réalité sensible. Pour autant, nous ne sommes pas conscients des artifices de notre perception. Le paysage n’existe pas, il n’est qu’une hypothèse. Cette question gravite autour de l'exposition "Paysages urbains, rêve et réalité" présentée actuellement au Domaine de Chamarande dans l'Essonne. Ce sont les photographes qui entreprennent ici l'enquête sur la notion même de paysage. Entre l'approche documentaire et la perspective rêvée d'un futur possible, nous ne pouvons éviter de nous interroger sur la nature même de cette notion de paysage. Et c'est l'apparente objectivité des photographes qui devient le véritable sujet de l'exposition.
Neutralité documentaire
Ce positionnement du photographe dans une forme de neutralité documentaire a même fait l'objet d'une évaluation théorique (par le critique Jean-François Chevrier) désignée comme un "retrait expressif" à travers cette posture de détachement.
Concrètement les œuvres présentées dessinent un "panorama en images des aménagements urbains menés ces soixante-dix dernières années qui nous montrent comme l'empreinte de l'homme, et notamment celle de son habitat, transforme en profondeur notre environnement".
Plug-in city (2000) Brest Alain Bublex
En France (Marne la Vallée, Brest, Sélestat, Grigny) et à l'étranger ( Toronto, Moscou, Bruxelles, Istanbul) ce voyage ouvre le champ des propositions d'urbanisme qui ont profondément impacté la vie des hommes depuis la seconde moitié du vingtième siècle.
Concernant l'Essonne, la question du territoire est ici abordée avec les photographies de Claire Chevrier. Au fil des mois, elle a arpenté le département à la demande du Domaine de Chamarande pour saisir, avec une démarche d’observation distanciée, les paysages urbains et les aménagements paysagers reconnus comme les plus à l’avant-garde depuis les années soixante : Athis-Mons, Évry, Grigny, Morangis, Paray, le Plateau de Saclay, Ris-Orangis et Vigneux. L'exemple de la Grande Borne à Grigny nous rappelle combien l'utopie architecturale et sociale d' Émile Aillaud a subi les assauts du temps, la Grande Borne se voulant une réponse humanisée et poétique au problème du logement social de masse avant de devenir, quarante ans plus tard une zone urbaine sensible réservée à une population en difficulté économique. La création de la Grande Borne précédait la mise en œuvre de la politique d'aménagement urbain engagé au milieu des années soixante sous le nom des "Villes nouvelles" parmi lesquelles figuraient Evry, Cergy-Pontoise, Marne la Vallée, Le Vaudreuil. La vision "objective" des photographes contemporains a notamment le mérite de mettre en perspective les nouvelles utopies urbanistiques avec cette histoire récente du paysage urbain. De la Grande Borne aux Villes nouvelles, ces complexes architecturaux délivrent-ils une mémoire de leur temps et de leurs habitants ? Ce qui frappe dans l'exposition de Chamarande, c'est l'absence de l'homme dans ces témoignages urbains. Pour ces créations architecturales dédiées à la vie des hommes, ceux-ci semblent absents du projet, oubliés, peut-être négligeables ?
Astana (Kazakhstan) 2013 Photo Phlippe Chancel
C'est aussi vraisemblablement la limite de cette distanciation photographique. La neutralité documentaire des photographes apparaitrait alors davantage comme un choix délibéré excluant la présence visible de l'homme dans les plus imposants projets urbains qui lui sont destinés. A la notion architecturale d' ''ensemble" manquerait alors cruellement celle du "vivre ensemble".
Paysages Urbains rêve et réalité
Photographies de Éric Baudelaire, Alain Bublex, Jean-Marc Bustamante, Philippe Chancel, Claire Chevrier, Robin Collyer, Stéphane Couturier, Thibaut Cuisset, Marcel Dinahet, George Dupin, Léo Fabrizio, Gilbert Fastenaekens, André Mérian, Jürgen Nefzger, Paola de Pietri, Catherine Poncin
Du 6 décembre 2015 au 27 mars 2016
Domaine de Chamarande
38 rue du Commandant-Arnoux
91730 Chamarande