Quoi de mieux qu'une guitare, un harmonica, un violon et une chanson pour oublier la solitude ? Il y a dans les chansons folk, les vraies de vraies, une mélancolie évidente. Une façon poignante de raconter des histoires pas souvent joyeuses mais qui deviennent des refuges pour ceux qui les écrivent. Pour ceux qui les écoutent aussi. L'album de Marlon Williams, c'est ça. Un refuge. Un massage du coeur en musique. Une collection de chansons pas vraiment joyeuses mais d'une pureté et d'une beauté sans nom. D'ailleurs, l'album n'a pas de nom.
Marlon Williams n'a rien d'un cowboy, mais il partage avec ces héros d'un autre temps, une certaine idée de la solitude. La faute sans doute à ce petit pays à la beauté sauvage qui l'a vu naître et grandir : la Nouvelle-Zélande. L'ancien enfant de choeurs, élevé et baigné depuis son plus jeune âge dans la musique country et bluegrass offre le plus beau revival de cette musique aujourd'hui. Certes, on est loin du folk pur et dur des premières années. A l'origine, le folk, musique du peuple, était des chants contestataires : la voix des opprimés qui ne pouvaient s'exprimer autrement qu'en chantant, une façon de remplacer la survie par la vie et de mettre de la lumière dans leurs tunnels embrumés. Au fil des années, le folk s'est métamorphosé, il s'est enrichi, il s'est nourri des autres courants musicaux, il a voyagé et quitté les montagnes américaines. Aujourd'hui, le folk n'est plus celui que Joan Baez s'amusait à décrire. Quand on lui demandait, jadis, si elle était une chanteuse folk, elle répondait que si c'était le cas, elle habiterait dans une vieille ferme des Appalaches, porterait des vêtements démodés et chanterait avec un timbre nasillard. Marlon Williams n'habite pas dans une ferme, il a loin d'avoir une voix nasillarde. Mais c'est vrai qu'il porte des vêtements démodés, cependant il partage avec les chanteurs folk ce côté conteur d'histoire du peuple. Celui de parents qui enterrent leur enfant, celui d'un homme qui perd sa femme, morte d'un cancer. Il chante les peines d'une jeune fille, le temps qui passe, l'amour aussi, la vie et ses étranges coups du sort. Le songwriting est dramatique mais captivant. " My only dear long wasted son/One day you'll wonder what you've become/One day ?/You only had the will to outlive" , chante-t-il avant de lâcher " Although the news came as no surprise/I always hoped I'd never have to bury a child " (" Dark Child ").
Et cette voix ? Parlons-en. Elle est tout ce qui a de plus suave, oscille dans les tons graves et il l'a module parfois comme les anciens crooners de Nashville. C'est évident sur " I'm Lost Without You ", une reprise qu'on jurerait pourtant écrite par le jeune homme tant il la revisite à sa manière.
A vrai dire, à l'écoute de ce premier album, on jurerait écouter un album d'un autre temps. On pense parfois à Tim Buckley, notamment sur " Everyone got something to say ", un magnifique guitare-voix, avec tout le lyrisme qui caractérise la star de l'âge d'or du folk. On pense aussi au fils Buckley sur " "When I Was a Young Girl ". Ceux qui connaissent la reprise de " Strange Fruit " de Jeff Buckley y verront même quelques similitudes dans la magnifique reprise de Nina Simone.
Comme les anciens hobos, les countrymen, les cowboys, Marlon Williams aborde beaucoup le thème de la solitude. Elle est omniprésente. Là, on comprend que malgré les années qui passent, une chose demeure : le folk est le plus bel compagnon de fortune des âmes solitaires et torturés. Ce premier album pourrait être la bande-son de l'histoire des racines du folksong. L'épique " Hello Miss Lonesome " est digne d'un western-spaghetti avec cette batterie qui chevauche, ces coeurs hantés. Il y a de la country (" After All "), il y a du blues, il y a du bluegrass, il y a un peu de Nashville. Et s'il y a une chanson qui hante littéralement les têtes, qui massent le cœur et enveloppe l'âme, c'est le dramatique " Strange Things ". Non, le folk n'est pas mort. Le folk n'est pas démodé. Le folk est beau, il traverse les âges et quand il est chanté par ce cowboy, il est parfait.
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