Interview éditeur : c’est reparti ! Afin de réaliser le Bilan Manga 2015 de Journal du Japon (fait avec passion, lisez le !) je suis reparti à la rencontre de trois éditeurs, dont je vais vous proposer les interviews complètes ce mois-ci. On commence par celle des éditions Ki-oon, un éditeur à l’actualité des plus riches, qui va potentiellement passer du statut de challenger à celui de leader dans les années qui vont venir, grâce à l’acquisition d’une licence à gros potentiel : My Hero Academia. Même sans ça, il y a beaucoup à dire : publication de manga à la française, bilan 2015, choix de licences, d’auteurs ou de segments du manga pour continuer de construire le catalogue… C’est comme toujours avec plaisir qu’on accueille Ahmed AGNE, le directeur éditorial pour évoquer tous ces sujets et plus encore !
Donc en route pour l’interview… et bonne lecture !
Actualité : de la France à Shueisha
Bonjour Ahmed AGNE,
Tremplin-Manga-Ki-oon (©Manga.Tv)
Commençons l’interview par votre actualité : vous avez annoncé le mois dernier votre second tremplin manga ! Où en êtes-vous du premier ?
Nous avons fait la remise des prix au mois de mars 2015 à la MCJP et nous sommes en train de travailler avec Shin qui a remporté cette première édition et qui avance sur sa nouvelle série.
Les gens s’imaginent parfois qu’un manga se fait en six mois mais ça ne fonctionne pas comme ça ! Nous travaillons depuis 8 mois sur ce projet et c’est uniquement ce qu’il faut pour réfléchir à l’histoire, à l’univers, aux personnages, et pour commencer à travailler quelques chapitres. Et donc, c’est une série que je ne m’attends pas à lancer avant, au mieux, 2017. Ce délai vaut pour les auteurs français comme pour les auteurs japonais : quand nous travaillons avec Tetsuya TSUTSUI sur une nouvelle série, il faut bien compter deux ans avant que le premier tome ne paraisse.
En tout cas, ne vous inquiétez pas, elle est bien vivante ! (Rires)
C’est la seconde édition de ce tremplin, c’est donc bien parti pour une annualisation du concept ?
Oui. L’idée n’est pas de faire un coup d’épée prudent dans l’eau pour voir si ça marche ou pas. Nous lançons plusieurs projets et nous voyons ça comme un combat sur le long terme. Nous avons un premier projet français qui va paraître cette année, et qui sera notre toute première création française, puis le gagnant du premier tremplin sortira probablement en 2017 et j’espère que celui de cette année pourra être publié en 2018. Ce que je veux éviter à tout prix, c’est de lancer une série dès que le premier tome est prêt car le principal handicap du manga français vis-à-vis du public ou du manga japonais c’est son rythme de parution : le lecteur n’est pas habitué à avoir un tome 1 en janvier et devoir attendre 1 an pour avoir le second. Donc nous accumulons le maximum de planches avant de lancer une série pour pouvoir la publier à un rythme raisonnable, au moins sur ses trois ou quatre premiers tomes.
L’urgence n’est donc pas de mise.
D’autant qu’il vaut mieux s’assurer de la qualité de ce que vous sortez car il y a toujours quelques réfractaires au manga français…
Ah il y en a plus que « quelques » ! (Rires)
Ça nous oblige à réfléchir mûrement la manière dont nous les présentons et dont nous les lançons. C’est ce que nous avons essayé de faire, en tentant des choses un peu différentes et nouvelles pour notre projet français de 2016.
Ensuite on poursuit avec votre nouveauté leader de 2016. On ne connait pas tout votre catalogue pour cette année mais on se doute qu’elle est dans le haut du panier : je parle bien sûr de My Hero Academia !
Yeaay !
C’est toujours compliqué de parler du contexte d’une acquisition car il y a des choses confidentielles qu’on ne peut pas partager avec le public. Mais on peut commencer par dire que Ki-oon n’a pas une image de gros éditeur de shônen. Notre catalogue est plutôt orienté seinen, et je suis moi-même moins lecteur de shônen que je ne l’étais il y a quelques années
Mais celui-là… Eh bien celui-là m’a littéralement foudroyé sur place : il est frais, barré, ne se prend pas au sérieux, ne multiplie pas les héros poseurs. C’est un récit porté par une galerie de personnages humains et éminemment sympathiques, qui évoluent dans un univers aux possibilités immenses.
Pour autant ce n’était pas gagné d’avance car nous avons qu’une relation très courte avec Shueisha et que My Hero Academia avec son statut de nouvelle série phare du Jump attisait évidemment de nombreuses convoitises. Elle est déjà très mise en avant par Shueisha au Japon, et au-delà de ça, c’est une série qui a été portée par un engouement immédiat et exceptionnel des lecteurs nippons dès ses premiers chapitres.
Ce n’est pas rare qu’un éditeur japonais s’essaie à la « fabrication » d’un blockbuster en donnant un cahier des charges très précis à un auteur. Mais c’est voué à l’échec dans 95% des cas. Un phénomène ne se créé pas sur commande. On ne fabrique pas un Harry Potter ou un Star Wars : c’est une œuvre qui part d’une démarche sincère, et c’est le public qui décide de sa destinée en y adhérant ou pas. C’est ce qui s’est passé avec My Hero Academia pour lequel il y a eu un vrai plébiscite des lecteurs. Il a été classé numéro un des votes très tôt ce qui est rarissime pour une œuvre qui débute.
Evidemment, les éditeurs de Shueisha sont très intelligents et quand ils voient qu’une série a ce potentiel, ils la mettent en avant et font tout pour l’imposer très tôt.
Est-ce que c’était votre première demande de licence shônen chez eux ?
Nous avions déjà un titre, Ad Astra, qui est la première série que nous avions demandé chez eux. My Hero Academia c’est la deuxième pour laquelle nous avons postulé. Du moins, ça fait partie de notre seconde vague d’offres pour être plus précis.
Et quand tu as fait ta demande… tu l’as faite parce que tu t’es dit que ça valait le coup d’être tenté mais sans trop y croire, ou tu t’es dit que tu avais de bonnes chances de l’avoir ?
Non ce serait mentir de dire que nous étions certains de le décrocher, tout comme Kurokawa ne partait pas en pôle position pour One-Punch Man. Nous n’avions chacun qu’une série chez Shueisha et un historique de collaboration très court. En face il y avait des éditeurs historiques installés depuis longtemps. La « logique » destinait plutôt ces titres à eux qu’à nous, les petits nouveaux.
Maintenant, pourquoi ils ont décidé de nous le confier plutôt qu’aux historiques, je ne peux pas répondre à leur place… Tout ce que je sais c’est que ça a été une négociation très longue, et que nous avons fourni le plan marketing le plus ambitieux que nous ayons jamais réfléchi chez Ki-oon, ce qui n’est pas peu dire car nous sommes connus pour la qualité de nos mises en avant… Nous avons proposé un projet où nous soutenions le titre sur le très très long terme, sur plusieurs années.
Autre point important, je ne me suis pas positionné sur One-Punch Man. Non pas que je n’aime pas cette série mais quand il y a deux titres aussi importants sur le marché il est complètement utopique de croire que l’éditeur japonais va te confier les deux. Si tu te positionnes sur les deux tu fais deux demi-plans demi-convaincants et tu éparpilles ton temps de parole… Je voulais qu’on se concentre sur My Hero Academia et qu’on lui consacre 100% de notre temps de cerveau disponible. D’une part parce que c’est celui des deux que je préfère, et aussi parce que j’y crois beaucoup plus sur le long terme. Peut-être que ça s’est ressenti dans mon discours.
Oui, le fait de prendre ce risque en misant tout sur un seul a sans doute montré votre engagement…
Le pari n’est pas forcément évident vu de loin car My Hero Academia n’a pas du tout la même pré-notoriété qu’un One-Punch Man. OPM est la licence manga la plus attendue en France depuis trois ans, il disposait avant même son lancement d’une communauté impressionnante de fans, et son auteur MURATA a déjà vendu plus d’un million d’exemplaires chez nous avec Eye Shield 21. Vu l’historique et le niveau d’attente, il était clair et net que son démarrage allait être phénoménal !
Avec My Hero Academia, nous sommes vraiment au début du phénomène, et le combat court sur le long terme. One-Punch Man va marcher très très fort, et très vite, mais ne durera peut-être pas très longtemps. Pour My Hero Academia, même si nous n’avons pas du tout les mêmes attentes en termes de lancement, je suis persuadé que ce titre peut devenir, dans le futur, la locomotive du marché du manga au Japon et en France, au même titre qu’un One Piece. On verra dans 5 ans si le pari était judicieux ou pas.
Il faut évidemment faire très attention à la manière dont cette comparaison doit être comprise : ce n’est pas le nouveau Naruto dans le sens scénaristique du terme, car ce sont deux histoires qui n’ont pas vraiment grand-chose en commun. C’est le « nouveau Naruto » dans le sens où la place qu’occupait la série de Masashi KISHIMOTO dans le Jump a clairement été reprise par My Hero Academia. Ce statut de nouveau Naruto, vient aussi du fait que Masashi KISHIMOTO lui-même a déclaré être persuadé que My Hero Academia était la série qui allait prendre la place de Naruto dans le Shônen JUMP. Ce n’est pas dit à la légère. Et ça en dit long sur les attentes que suscite My Hero Academia au Japon.
Pour ce lancement, vous prévoyez combien d’exemplaires sur l’année ?
Six. Nous en sortons deux en avril et après il y en a un tous les deux mois. Ce sera à peu près la même chose en 2017 a priori.
Et il y a un anime qui arrive c’est ça ?
Oui en avril, presque en même temps que le lancement du manga. Pour le moment c’est la guerre absolue entre les différents diffuseurs pour obtenir les droits de la série en France, et ce n’est pas encore décidé à l’heure où nous parlons (fin janvier, NDLR).
Après avoir publié plusieurs titres de chez Kodansha, vous voilà donc à travailler avec Shueisha… Travaillez-vous avec tout le monde maintenant où reste-t-il encore des éditeurs japonais à convaincre ?
Alors « à convaincre », non. Ils nous connaissent tous. Ceux avec qui nous ne travaillons pas c’est parce que nous n’avons pas encore trouvé de titres qui correspondent à notre ligne éditoriale pour débuter une collaboration. Shueisha était donc le dernier gros rempart à franchir… Il nous reste maintenant à faire nos preuves pour montrer qu’ils ont eu raison de nous accorder leur confiance.
Mais nous n’arrêtons pas de travailler avec les autres pour autant ! (Rires)
Bien sûr ! Et avec tous ces éditeurs nippons avec qui tu collabores, donnes-nous ton top 3 des magazines de prépublication, comme ça sans trop réfléchir !
C’est très compliqué de répondre à cette question parce qu’un magazine de prépublication évolue très vite, et que ses séries changent tout le temps. Parfois pendant six mois mon préféré sera l’Afternoon, le Haruta ou le Young Gangan. Mais ça change trop souvent pour que j’arrête un avis définitif. Typiquement le Big Gangan n’était pas un magazine que je suivais avec assiduité mais maintenant que Übel Blatt, Dimension W et la dernière série de Yuko Osada y sont publiés, je le suis avec plus d’attention que par le passé. De même je mentirais si je disais que j’étais un lecteur acharné du Shônen JUMP avant My Hero Academia, car je surveillais juste les nouvelles séries. Mais maintenant dès que l’exemplaire arrive je me jette sur l’enveloppe, je l’arrache et je le dévore dans la foulée.
2015 : le début d’une nouvelle décennie
Quel est, tout simplement, ton bilan 2015 pour les éditions Ki-oon ?
Je suis d’autant plus content que A Silent Voice, que je présentais comme un coup de cœur, a immédiatement trouvé son public. Je savais qu’il fonctionnerait bien sur le long terme avec le bouche à oreille mais c’est vraiment une bonne chose qu’il ait décollé si rapidement, surtout que ce n’est pas le profil de titres qui truste les charts d’habitude. C’est l’histoire d’une sourde qui tombe amoureuse de son ancien bourreau, ça parle d’acceptation du handicap dans la société et de harcèlement scolaire, des thématiques très atypiques.
Ce qui me rend particulièrement heureux avec le succès de ce titre, c’est que nous avons pu toucher de nombreux de lecteurs qui ne sont pas consommateurs de manga habituellement… De la même manière qu’avec Poison City, qui fait aussi partie du top 10 des meilleurs lancements, nous avons pu attirer des lecteurs qui se sont intéressés avant tout à la thématique de l’ouvrage plutôt qu’à son format. Même avec Inuyashiki, dans une moindre mesure, nous avons réussi à dépasser le public manga.
Ça me fait plaisir parce que, même si je suis content que Secret et King’s Game soient dans le top 10 eux aussi et que notre lectorat cœur de cible continue de nous suivre et de nous soutenir, mon obsession c’est l’élargissement et le renouvellement du lectorat potentiel… Justement, une anecdote amusante avec le commentaire le plus mignon de l’année sur A Silent Voice, d’un lecteur qui avait acheté son tome sur un site de vente en ligne : « Bonjour, je ne comprends pas car cet ouvrage a l’air extrêmement intéressant mais l’exemplaire que j’ai reçu était monté à l’envers. » (rires) Savoir qu’on a pu toucher des lecteurs qui n’ont jamais lu de manga de leur vie et qui commencent avec A Silent Voice, c’est extrêmement gratifiant.
Nous avons eu énormément de sollicitations des bibliothèques, des CDI et de la presse grand public : c’est une autre victoire – sans mauvais jeu de mot (l’attaché de presse des éditions Ki-oon s’appelle justement Victoire) – pour ce titre comme pour Poison City et Inuyashiki, car quand on arrive à solliciter l’attention du Monde, du Nouvel Observateur, de Télérama, France Info… etc, il en découle forcément une plus grande visibilité pour nos séries.
On dépasse les frontières du lectorat habituel…
Voilà. Et, en ça, c’est une sacrée bonne année ! (Rires)
On a parlé des bonnes surprises, y-a-t-il eu des déceptions ?
Humm… Réfléchit
Le Requiem du Roi des Roses peut-être ?
Non, même pas. Lorsque j’ai acquis ce titre auprès de l’éditeur japonais je lui ai dit : « vous savez si nous vendons 4-5000 du tome 1 en fin de vie, ce sera déjà très bien ». Au final nous finissons la première année déjà au-dessus des 4000 exemplaires écoulés donc je ne peux pas vraiment parler de déception.
Ça peut paraître difficile à juger de l’extérieur, mais pour statuer sur l’échec ou la réussite d’un titre, il faut savoir où l’éditeur place le curseur et nous le mettions à 3 000 exemplaires vendus en première année. Même si j’adore le titre, il est particulier : il mélange historique, shôjo, un peu de yaoi… Ce n’est clairement pas pour tout le monde.
C’est sûr que si toute l’histoire a déjà été dévoilée, on se tourne moins vers le manga que pour un anime qui laisse l’histoire en suspens
Après je préfère le manga – il est plus riche, il y a plus de situations – mais soyons honnête, c’est un manga de musique, donc forcément tu vas plus facilement vers l’anime.
Ensuite en déception il y a aussi L’oiseau Bleu…
Ah pour celui là je vais vous demander un forfait mouchoir ! Qu’est-ce qu’il était triste !
Ce n’est pas si triste que ça ! Evidemment c’est dur, mais à la fin de chaque histoire, j’ai plutôt retenu le message d’espoir de l’auteur, celui du cycle de la vie.
Après pour la déception, en termes de vente, ça été une erreur de le sortir en novembre après Unlucky Young Men sur lequel nous avons beaucoup communiqué auprès des grands médias. Il a été très difficile de les re-solliciter dans la foulée pour un autre titre, même s’il était très différent. Les chroniques sont positives et les ventes ne sont pas cataclysmiques mais il aurait pu avoir une meilleure exposition si nous l’avions sorti à un autre moment de l’année.
On a fait le tour des choses récentes, est-ce que des séries qui ont commencé en 2013 – 2014 , ont pris leur envol ?
Darwin’s game : le premier tome est paru fin août 2014, il faisait parti des meilleurs lancements malgré sa publication tardive mais là il intègre le top 20 des ventes toutes séries confondues en 2015, en 14e position.
Dans un autre genre, comment va Dimension W ?
Il se porte bien, le fond est en progression et on continue de recruter des lecteurs. Ça devrait continuer, comme Erased qui va de mieux en mieux lui aussi, grâce à l’adaptation animée.
Complètement, nous avons très bien vendu le tome 7. Déjà c’était une série où il y avait vraiment très peu de décrochage à la base. Normalement tu perds toujours des lecteurs d’un tome à l’autre, à fortiori avec plus de deux ans de pause. Et pourtant si on compare à nombre de semaine équivalente, le nombre d’exemplaires vendus est à peu près équivalent à ceux des tomes précédents. Les lecteurs de la série sont toujours là, mais les écoulements seront forcément impactés à long terme si la série ne retrouve pas un rythme régulier.
Justement quel rythme peut-on envisager ?
Eh bien… ça dépendra de l’auteur ! (Rires)
J’espère avoir un tome en 2016. La série a repris dans le Young Gangan et le plan de départ c’était un chapitre par mois mais on est plutôt à un chapitre tous les mois et demi, donc ça s’achemine vers un tome par an.
Ensuite Übel Blatt a eu le droit à deux tomes en 2015 et il se porte bien : c’est encore la 4e série la plus écoulée du catalogue en 2015 derrière Darwin’s Game, Pandora Hearts et A Silent Voice. Enfin, cela dit, si on regroupait les différentes saisons de Kings Game ce dernier serait d’assez loin en première place.
Choix de catalogue : titres, auteurs ou thématiques ?
Passons à un autre secteur de votre catalogue : le shôjo. Vous en avez très peu. Est-ce que c’est une montagne qu’il reste à gravir ou plutôt un secteur où tu ne te vois pas forcément pousser le curseur ?
Je n’ai pas envie de faire du shôjo pour faire du shôjo. J’ai eu un gros coup de cœur shôjo au Japon en 2014 et j’ai essayé de l’acquérir mais je ne l’ai pas eu, donc il n’y a pas eu de nouveauté shôjo chez Ki-oon en 2015 et il n’y en aura pas en 2016, a priori. Il faut que je tombe sur des titres qui me plaisent, une fois encore. J’en lis mais c’est juste que sur quarante lectures il y en aura peut-être une qui va m’intéresser. Je suis beaucoup plus séduit par des titres à la frontière des catégories japonaises, comme A Silent Voice qui est un shônen avec des éléments shôjos, Your Lie in April pareil…
Le requiem du Roi aussi…
Oui nous l’avons classé en seinen mais c’est un shôjo à la base. Donc voilà ce sont des titres plutôt différents. Ce n’est pas un shôjo à la Love Mission, qui pour le coup n’est pas vraiment ma came. Tant mieux si ce type de titre a son public chez nous, mais ce n’est pas ce que je cherche. Il faut trouver le bon titre…
En clair : il y aura du shôjo quand il y en aura, quoi ! (Rires)
Quand tu as une thématique qui marche ça définit forcément un peu ton image. Du coup le raccourci est facile alors que le survival chez Ki-oon c’est 8 titres publiés en 9 ans dans un catalogue qui compte plus de 140 séries. Donc c’est au contraire un genre très peu représenté dans notre catalogue par rapport au succès qu’il rencontre en France. On pourrait au contraire faire dans la facilité et en sortir 5, 6 par an, mais c’est un choix que je me suis refusé à faire. Du coup, aujourd’hui Ki-oon est loin d’être l’éditeur le plus prolifique en la matière. Il y a beaucoup plus de survivals sortis chez nos concurrents en 2015 mais comme ils n’ont pas fonctionné, on n’en a pas parlé plus que ça.
Bref, c’est la rançon du succès, ce n’est pas dramatique. Mais c’est vrai que ça frise la mauvaise foi de nous réduire au survival une année où nous avons sorti A Silent Voice, Poison City, Le Requiem du roi des roses, Your Lie in April, Unlucky Young Men, L’oiseau bleu, Last Hero Inuyashiki, Darker than Black… et où au contraire, nous n’avons jamais eu un catalogue aussi varié…
Puisque l’on parle de ce genre là, je continue et je grossis le trait pour la question suivante : Secret n’a pas l’air de répéter le carton des précédents…
Quand on cumule les ventes de l’édition standard et de l’édition collector, la série se classe 5e sur plus de 170 lancements de nouveautés en 2015, donc c’est très bien. Après qu’il y ait une lassitude qui s’installe parce que c’est le même auteur qui revient trois fois avec le même concept, c’est plutôt logique. Mais il ne faut pas confondre l’érosion naturelle d’une série avec un désintéressement du public. Car dire que le public se désintéresse du survival ce n’est pas vrai du tout.
Vous en avez un de prévu cette année ?
Oui, une nouveauté, Re/member. C’est plus de l’horreur que du survival mais on va le classer comme ça pour faire plaisir aux haters. (Rires) Et la suite de King’s Game, mais difficile de parler de nouveauté dans ce cas précis.
Autre sujet : en 2015 on a pu constater que certains auteurs déjà connus en France sont arrivés chez Ki-oon : Yuki URUSHIBARA (Mushishi), Eiji OTSUKA (MPD Psycho), Takashi MURAKAMI (Le chien gardien d’étoile), Aya KANNO (Otomen) ou encore Hiroya OKU (Gantz) pour ne citer qu’eux. Ton choix se fait-il toujours œuvre par œuvre ou y-a-t-il aussi un choix d’auteur, sur le plus long terme ?
Déjà, leur renommée chez nous est toute relative. Les ventes de Mushishi et Du Chien gardien des étoiles ont malheureusement été très confidentielles. Ensuite, le cv d’un auteur ne m’intéresse pas vraiment quand je choisis une œuvre, c’est la série avant tout qui motive l’achat chez nous, pas le pédigrée de son auteur. Etorouji SHIONO est un auteur prolifique au Japon et nous n’avons édité que Übel Blatt de lui alors que c’est un de nos blockbusters.
Pour Underwater c’est plutôt la sortie de la version deluxe qui m’a décidé, même si j’aimais beaucoup Mushishi. Pour Unlucky Young Men c’est une série co-écrite par Kamui FUJIWARA qui est un auteur que j’aime beaucoup. Ça faisait longtemps que nous voulions acquérir les droits de cette série qui date de 2007 au Japon mais des problèmes de droits nous en empêchaient. Le fait d’avoir invité Kamui FUJIWARA à Japan Expo pour Emblem of Roto nous a permis d’en rediscuter et ça a débloqué les choses. Enfin pour être parfaitement honnête pour Aya KANNO j’ai lu les deux premiers tomes d’Otomen et j’ai arrêté, je ne suis pas le public visé. Si j’ai choisi Le requiem du roi des roses c’est avant tout parce que j’ai tout de suite accroché à l’histoire ainsi qu’à la psychologie des personnages. Et c’était cohérent par rapport à des œuvres qu’on a déjà publiées avant.
Un des rares auteurs que je suis quelles que soient ses sorties c’est Tetsuya Tsutsui, car j’adore sa narration, sa manière de raconter ses histoires, et qu’il me fournit l’intégralité du scénario avant même de commencer à dessiner. Donc, je sais toujours dans quoi je m’engage, ce qui est rarement le cas avec un achat de licence classique.
2016-2017 : un avenir prometteur !
Terminons avec les perspectives 2016-2017… Depuis quelques années votre nombre de sorties tourne autour d’une centaine de nouveautés : 106 en 2014, 107 en 2015. Est-ce que c’est votre plafond en nombre de sorties ?
Ma politique est de ne pas augmenter le nombre de sorties. Si je regarde mon planning de 2016 nous avons 107 nouveautés prévues. C’est un planning au 26 janvier bien sûr, donc il peut encore y avoir du mouvement, mais ça peut aussi être moins si des séries prennent du retard au Japon et que des tomes sont décalés à 2017. Ce qui est sûr c’est que nous n’avons pas de volonté de diminuer ou d’augmenter notre production.
Oui vous êtes placés entre 90 et 110 volumes depuis quelques années maintenant…
Oui, entre 2011 et 2012 nous sommes passés de 88 à 105 et depuis c’est très stable.
Concernant à nouveau l’année à venir : A Silent Voice était votre pari éditorial 2015, quel est l’outsider de 2016 ?
Il y en a plusieurs. Je peux parler des deux premiers que nous avons annoncés. Kasane la voleuse de visage tout d’abord. C’est un livre qui parle du métier d’actrice, de théâtre, de l’obsession, du regard de la société sur soi et des apparences… Si je devais tenter une comparaison cinématographique, je dirais qu’l y a quelque chose du Black Swan d’Aranofsky. Le second, c’est Père & Fils qui nous embarque dans un road-trip avec un apprenti papa et son rejeton au cœur de la nature japonaise. Le père est herboriste ambulant et on apprend énormément de choses sur les plantes et leurs vertus médicinales. Mais c’est avant tout l’histoire d’un papa maladroit qui cherche à nouer un lien unique avec un enfant qui a perdu sa mère. C’est un magnifique récit tranches de vie dans lequel on rit et on pleure avec les personnages. Je pense qu’avec ces deux titres-là, il y a moyen de parler à un lectorat qui n’est pas forcément super sensible au manga.
Voilà pour le début de l’année ! J’en ai un autre en août mais il est encore trop tôt pour en parler.
Pour 2016 qu’est-ce qu’on peut souhaiter à Ki-oon et au marché du manga en général ?
Le marché va vivre une année 2016 exceptionnelle : le lancement de OPM en janvier a été extraordinaire. C’est clairement le signe que le public manga aime toujours autant les blockbusters et qu’il avait envie d’une nouvelle locomotive. Je ne dis pas que le public va jeter One Piece ou Naruto à la poubelle mais ces séries ont plus de 15 ans et c’est normal qu’il y ait une érosion et une envie de renouveau. My Hero Academia va aussi apporter sa pierre à l’édifice et participer au dynamisme du marché pour les années à venir. Et ça, je le dirais même s’il n’était pas publié chez moi. Je pense sincèrement que l’arrivée de cette série est une bonne nouvelle pour le marché en général.
Oui de toute façon tu te réjouissais du succès de Seven Deadly Sins l’an dernier de toute façon.
Absolument. Quand ce genre de série fonctionne c’est bon pour tout le monde, parce que les gens vont en librairie… et plus ils y vont, plus ils sont susceptibles d’acheter toutes sortes de titres. La preuve en est que nous avons connu un très bon mois de janvier en termes de ventes. Les démarrages d’Underwater et de Kasane dépassent nos attentes.
Pour My Hero Academia nous ne prévoyons pas faire une démarrage aussi puissant que celui One-Punch Man, la série ne dispose pas encore d’une pré-notoriété suffisante pour ça. Nous visons un lancement dans les eaux de ceux réalisés par Arslan ou Seven Deadly Sins sur l’année. Si nous y arrivons, ce sera de très bon augure pour la suite…
On vous le souhaite alors, bonne année 2016 à Ki-oon !
Pour suivre Ki-oon vous avez le choix : vous pouvez les retrouver ce mois-ci au Salon du Livre de Paris, suivre leur actualité sur leur site internet, leur page Facebook ou leur Twitter ! Merci à Ahmed Agne pour son temps et sa disponibilité. Merci également à Victoire pour la mise en place de cette interview !
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