Sébastien Meier, Marie-Christine Horn et Olivier Chapuis
Ce soir, la Bibliothèque Chauderon de la Ville de Lausanne accueille Tulalu!? pour une soirée spéciale consacrée au polar lausannois. Les invités de l'association littéraire sont Marie-Christine Horn, Olivier Chapuis et Sébastien Meier, qui, tous trois, ont commis un polar au cours des six derniers mois.
Après un mot d'introduction d'Isabelle Falconnier, qui est, entre autres, Déléguée à la politique du livre de la ville de Lausanne, c'est à Pierre Fankhauser, le charismatique animateur de Tulalu!?, portant veste en laine safran, que revient le rôle de mettre sur le gril, l'un après l'autre, les trois auteurs sur canapé.
Dans Le parc, rien d'étonnant à ce qu'Olivier Chapuis situe la scène du crime dans un parc, mais c'est un parc de Lausanne, le parc de Monrepos, où se trouve la piscine éponyme. Dans Tout ce qui est rouge, Marie-Christine Horn enferme les crimes perpétrés dans une clinique psychiatrique de la région lausannoise, La Redondière, nom de son invention, qui lui est venu comme ça... Dans Le nom du père, l'action se déroule dans plusieurs lieux de Lausanne, facilement reconnaissables.
Il s'agit donc bien dans les trois cas de polars lausannois.
Pierre Fankhauser et Olivier Chapuis
Pourquoi avoir choisi Lausanne pour cadre de leurs romans?
Olivier Chapuis habite à proximité du parc Monrepos. Il s'y promène souvent. Il en connaît bien les alentours. Il précise que le crime aurait pu avoir lieu dans un tout autre endroit. Mais, par souci de vraisemblance, il lui a paru préférable de faire se dérouler l'action dans un lieu connu de lui. Il était ainsi tranquille. On ne le prendrait pas en défaut. Pour en être tout à fait sûr, il a même fait des repérages.
Marie-Christine a passé quelques années avant ses trente ans à Lausanne. Elle s'est donc sentie à l'aise en écrivant un polar lausannois. Le situer à Lausanne lui ôtait toute préoccupation. Elle pouvait écrire librement. On ne parle jamais aussi bien que de ce qu'on connaît. Pourquoi, par exemple, aurait-elle situé son roman aux Etats-Unis, alors qu'elle ne s'y est rendue qu'une fois et qu'elle ne parle pas la langue?
Sébastien Meier connaît bien Lausanne. C'est sa ville. Il entretient avec elle une relation d'amour-haine. Ainsi aime-t-il même la place de La Riponne qui ne ressemble pourtant à rien et où il ne viendrait à l'idée de personne de s'attarder en son milieu pour admirer le paysage. Mais il râle à propos de détails. Par exemples, la Coop Pronto ferme trop tôt ou la ville est en pente: il aimerait, par moments, qu'elle soit plate.
Pierre Fankhauser et Marie-Christine Horn
Les personnages de ces polars sont des personnages de fiction, même s'ils sont inspirés de la réalité.
Olivier Chapuis est certes parti d'un fait divers. Il y a une dizaine d'années, un policier a tiré dans un parc de Lausanne, qui n'est cependant pas celui de Monrepos. C'est ce crime qui l'a inspiré. Mais le reste est le pur fruit de son imagination. Ne se sentant pas capable d'écrire une histoire linéaire, il a adopté un récit choral, à plusieurs voix donc, ce qui lui a permis de dévoiler peu à peu les dessous de l'intrigue, chaque voix apportant sa contribution à ce dévoilement, jusqu'au dénouement inattendu.
Marie-Christine Horn a reçu les confidences d'un ami infirmier sur l'univers carcéral en clinique psychiatrique et elle a visionné des documentaires sur le sujet. Alors que d'aucuns pensent qu'elle est tordue d'avoir écrit un tel roman, ses personnages, atteints de schizophrénies multiples, sont pourtant réalistes. Elle en a eu la confirmation de la part de lecteurs qui connaissent bien le sujet. Elle a même édulcoré les choses. Pour sa part, quand elle se met à écrire, elle a déjà toute l'histoire dans la tête. Il ne lui reste plus qu'à la coucher sur le papier.
Sébastien Meier est parti de personnages réels lui aussi, mais chacun d'eux est en fait une composition empruntant des éléments à plusieurs d'entre eux. De temps en temps, il s'amuse toutefois à introduire des personnages secondaires qu'un Lausannois un peu au fait des histoires de la ville est capable de reconnaître sous le faible déguisement de son nom évocateur. Pour faire en sorte que son polar suscite l'intérêt du lecteur, il lui a donné, en alternance, du squelette et de la chair, en mettant plusieurs fois l'ouvrage sur le métier.
Pierre Fankhauser et Sébastien Meier
Que dissimulent-ils ces auteurs sous la couverture de leur polar?
Olivier Chapuis s'interroge depuis longtemps sur le hasard. Existe-t-il vraiment? Il y a de quoi se le demander, tant les choses, qui nous dépassent, semblent organisées, tant nous avons envie de leur donner un sens qu'elles n'ont vraisemblablement pourtant pas. Car, au-delà de trompeuses apparences, en réalité, lorsque les choses se révèlent dans leur intégralité, le hasard seul paraît finalement en être la cause.
Marie-Christine Horn s'intéresse depuis longtemps à l'art brut. A dix-huit ans une exposition d'un tel art, considéré à l'origine comme un art de fous, l'a fortement fascinée, par la beauté des oeuvres exposées et par leur puissance d'évocation. Aussi a-t-elle voulu que cet art singulier, que pratiquent ceux qui n'ont pas reçu de formation en beaux-arts, soit au noeud de l'intrigue de son livre.
Les ombres du métis était un polar psychologique. Sébastien Meier a voulu dans Le nom du père, qui en est la suite, introduire de l'action. Mais quelle action introduire dans un pays comme la Suisse? C'est alors qu'il a pensé à l'économie et à la finance. La lecture de livres de Jean Ziegler n'a pas été étrangère au choix qu'il a fait de mettre au premier plan les agissements d'une grosse entreprise de négoce de matières premières...
Ces polars lausannois ne sont donc pas de simples polars. Ils permettent à leurs auteurs de s'interroger sur des aspects sociologiques, que favorise le genre. Sébastien Meier rappelle ainsi que Georges Simenon avait créé Maigret pour s'introduire chez les gens... Ce faisant, ces auteurs incitent leurs lecteurs à la réflexion, sans pour autant oublier qu'un polar est destiné à divertir. La réflexion, qu'ils proposent, n'empêche pas le divertissement. Et vice-versa.
Selon son humeur, le lecteur, une fois achevée la lecture d'un de ces polars lausannois, pourra être, à l'instar de son auteur quand il a mis un point final à son écriture, ou vidé, comme l'est Sébastien Meier, ou attristé de quitter les personnages, comme l'est Marie-Christine Horn, ou euphorisé d'avoir atteint son but, comme l'est Olivier Chapuis... Ou un peu des trois à la fois...
Francis Richard
Tout ce qui est rouge, Marie-Christine Horn, L'Age d'Homme (août 2015)
Le parc, Olivier Chapuis, BSN Press (octobre 2015)
Le nom du père, Sébastien Meier, Zoé (février 2016)