Je me souviendrai

Par Pandora



Je me souviendrai de tout, faites-moi confiance, je n’ai pas besoin de prendre des notes. C’est gravé dans le marbre sur la surface de mon cerveau. Niveau mémoire, je suis un vrai phénomène de foire qui gagne tout le temps au Trivial poursuit et qui est incollable à « questions pour un champion ».

Chez moi, le temps n’efface rien, chez moi le temps n’adoucit rien non plus, hélas.

Je me souviens de tout. A la façon d’un ordinateur mon cerveau encode, classe et stocke toutes les informations qu’il collecte, même ce qui peut vous paraître insignifiant. Et quand je dis tout, c’est vraiment tout. Il paraît que c’est une maladie, puisque normalement on doit pouvoir oublier certaines choses pour réécrire des données en prenant la place qui a été ainsi libérée pour éviter la surchauffe et la saturation. Pas moi. Nous disposons en plus d’un espace de stockage très important puisque la majorité des gens n’utilise même pas 5% de son potentiel. Je ne vivrai ainsi probablement pas assez longtemps pour saturer mon disque dur…

J’ai emmagasiné 18 années de souvenirs, qui sont là, dans ma tête stockés mais surtout utilisables. Des données brutes de choses utiles et inutiles, des données lourdes et pour certaines encombrantes.

Quand on me cite une date, je ne peux m’empêcher de me remémorer, dans le détail, tous les événements qui l’ont traversée à la façon d’une encyclopédie dont les pages tourneraient toutes seules, sans pouvoir s’arrêter.

Je peux aussi vous réciter la liste de course que ma mère m’avait donnée le 10 juin 1998 quand j’avais 8 ans : 1 botte de radis, 1 kilo de carottes, 2 litres de lait, Un kg de sucre glace emballé dans l’étui cartonné et non dans le sachet plastique et un rouleau de sopalin, uni. La caissière m’avait rendu 3 francs et 20 centimes et ma mère m’avait grondé au retour parce que j’avais ramené du sopalin à motifs, alors que je me souviens très bien qu’il n’y en avait plus de blanc. Aucun intérêt à m’en rappeler.

Ou ceci : « C’est une copie lamentable, si tu continues comme cela tu finiras dans une classe de BEP d’un lycée professionnel mal famé où tu y apprendras un métier qui fera de toi un chômeur ». Dixit Madame Lapieuvre, ma prof de français de 4ème un samedi de novembre. Je lui ferai une belle lettre avec une photocopie de ma première fiche de paye à cette vieille peau, quand je gagnerai bien ma vie mais cette rancœur est-elle bien nécessaire ?

Ou ceci : « Tu n’es qu’un imbécile, pourquoi n’ai-je pas dit à ton père que j’avais la migraine le jour où tu as été conçu ? ». Bien sûr il y a eu tellement plus de « Je t’aime » et de « Je suis fière de toi » que ce reproche dit un jour de colère mais je ne peux pas l’oublier.

Je peux remonter ainsi très loin, me rappelant de chaque journée, de chaque événement depuis que j’ai l’âge de 4-5 ans. Je passe régulièrement des tests à l’hôpital et les neurologues n’en reviennent pas de ma mémoire tellement exceptionnelle. Car je me souviens de tout. Même de l’inutile Même de l’encombrant.

Alors forcément, comme j’ai beaucoup de choses en tête, je suis sujet aux maux de tête. Des migraines vraiment intenses dont je souffre de plus en plus souvent, et sur lesquels les médicaments antidouleur pourtant très forts sont de moins en moins efficaces Les médecins sont impuissants, ils n’ont jamais vu ça à mon âge. Ils n’ont jamais vu quelqu’un comme moi. Je dois prendre mon mal en patience, dans le noir complet et le silence, une bassine à côté du lit. Mais impossible de me vider la tête, impossible de ne penser à rien. C’est comme si mon cerveau n’était jamais au repos, c’est comme s’il commençait à saturer.

Dans ces moments là, j’aimerais vraiment être comme tout le monde et pouvoir oublier, pouvoir vider mon disque dur pour me reposer les neurones.

Parce que je ne sais pas combien de temps je pourrai encore tenir comme cela.


[Texte écrit pour la petite fabrique d'écriture sur l'incipit Je me souviendrai]